Lettrede Gustave Flaubert Ă George Sand, 7 octobre 1871, Croisset, dans Gustave Flaubert - George Sand : Correspondance, Ă©ditions Flammarion, texte Ă©ditĂ© par Alphonse Jacobs. Extrait de George Sand ou lâart dâĂȘtre grand-mĂšre, Fiction France Culture, 23 dĂ©cembre 1991.
04h11 , le 31 juillet 2016 , modifiĂ© Ă 10h25 , le 21 juin 2017 Femme de lettres et de tĂȘte, amante aux multiples conquĂȘtes et mĂšre attentionnĂ©e, muse de la rĂ©volution de fĂ©vrier 1848 et chroniqueuse subtile des sentiments les plus intimes... George Sand aura Ă©tĂ© toutes ces femmes, une et multiple, moderne avant l'heure, libre et obstinĂ©e. Une rebelle absolue et une scandaleuse avec pour seuls guides ses Ă©lans du cĆur et ses convictions d'Histoire retrace le parcours hors normes de la premiĂšre femme auteure de 70 livres Ă travers un documentaire nourri de nombreuses interviews romanciers, historiens, journalistes, des extraits de tĂ©lĂ©films et des visites guidĂ©es dans les lieux de vie de l'Ă©crivaine. Le documentaire prĂ©sentĂ© par StĂ©phane Bern revient longuement sur la jeunesse de la jeune Amantine Aurore Lucile Dupin, baronne Dudevant. Une enfance Ă la fois heureuse et accidentĂ©e, marquĂ©e par la mort de son pĂšre officier. AbandonnĂ©e par sa mĂšre, elle sera Ă©levĂ©e par une grand-mĂšre paternelle inconsolable. Au point d'appeler sa petite-fille "mon fils", et de lui accorder une libertĂ© alors rĂ©servĂ©e aux et cigarette, un look de scandaleuseC'est Ă cette Ă©poque qu'elle rencontre la littĂ©rature et dĂ©vore la bibliothĂšque familiale. Avant de devenir George Sand la rebelle, qui appartenait Ă un "troisiĂšme sexe", dixit Gustave Flaubert, Aurore Dupin aura Ă©tĂ© l'Ă©pouse modĂšle d'un notable qu'elle quittera assez vite, toujours guidĂ©e par ses dĂ©sirs d' son jeune amant Jules Sandeau, elle monte dans un Paris en pleine effervescence culturelle et commence Ă Ă©crire ses premiers articles dans Le Figaro, anonymement comme toute femme Ă l'Ă©poque. Elle accĂšde Ă la notoriĂ©tĂ© en 1832, avec son premier roman, Indiana, signĂ© sous le nom George Sand empruntĂ© Ă son amant de l'Ă©poque. Un livre-manifeste sur la condition fĂ©minine en France, pays oĂč le Code civil affirme que la femme est la propriĂ©tĂ© de l'homme "comme le fruitier est celle du jardinier". Sa carriĂšre est devient la protĂ©gĂ©e de Balzac et du tout-Paris fascinĂ© par cette petite femme d'un m aux yeux noirs, qui troque volontiers les robes inconfortables de l'Ă©poque contre une redingote noire, et enchaĂźne les aventures amoureuses avec Alfred de Musset, Chopin et tant d'autres... George Sand se comporte comme un homme, rompt quand la flamme s'Ă©teint pour la rallumer dans les bras d'un autre. Si elle a collectionnĂ© les aventures avec de grands artistes, le dernier homme de sa vie sera Alexandre Manceau, un ouvrier dĂ©cĂ©dĂ© Ă 47 ans d'une tuberculose, comme autre passion sera la politique. Elle sera de tous les combats pour la justice et l'Ă©quitĂ©, armĂ©e de sa plume, au point de devenir la muse de la rĂ©volution de 1848, puis de la Seconde RĂ©publique. George Sand fonde le journal La Cause du peuple, conseille Ledru-Rollin et Ă©crit ses discours, mais condamne la dĂ©cision d'envoyer l'armĂ©e pour mater la rĂ©volte populaire "Je ne crois pas Ă une RĂ©publique qui tue ses prolĂ©taires", Ă©crira-t-elle depuis son refuge de Nohant, oĂč elle s'adonne avec passion Ă la littĂ©rature, s'occupe de ses deux petites-filles et concocte des confitures... C'est lĂ , dans sa chambre bleue restĂ©e intacte, qu'elle tirera sa rĂ©vĂ©rence Ă l'Ăąge de 72 dâHistoire George Sand, libre et passionnĂ©e, mardi Ă 20h55, France JDD papier
LouiseMarie Madeleine Guillaume de Fontaine, par son mariage Madame Dupin, est née à Paris le 28 octobre 1706 et morte au chùteau de Chenonceau, le 20 novembre 1799.CélÚbre pour sa beauté et son statut de femme d'esprit, Louise
Les Amis de Flaubert â AnnĂ©e 1956 â Bulletin n° 8 â Page 23 George Sand Ă Croisset et Flaubert Ă Nohant Ă premiĂšre vue, il semble que lâamitiĂ© si affectueuse et si solide qui liait lâauteur de Madame Bovary Ă celui de LĂ©lia ne se soit manifestĂ©e que dans leur correspondance. Plus de quatre cents lettres, en effet, rĂ©parties assez rĂ©guliĂšrement sur un espace de dix ans, attestent lâintĂ©rĂȘt et lâattachement jamais dĂ©faillants que se vouaient les deux Ă©crivains amis. Dâautre part, au cours de quinze annĂ©es, de 1859, date de leur premiĂšre rencontre, jusquâĂ la mort de Sand, en 1876, les entrevues ont Ă©tĂ© plutĂŽt rares, se bornant aux brefs moments oĂč ils se trouvaient simultanĂ©ment Ă Paris. Trois fois cependant, on le sait, George Sand a passĂ© quelques jours chez Flaubert, Ă Croisset, et deux fois, Flaubert lui rendait sa visite Ă Nohant. Il est peut-ĂȘtre intĂ©ressant de reproduire ici le texte complet des notes que G. Sand a jetĂ©es sur son Journal au cours de ces journĂ©es pleines de charme. MalgrĂ© le style peu soignĂ© et les phrases construites avec nĂ©gligence, on y saisit sur le vif lâatmosphĂšre de cordialitĂ© et de confiance qui caractĂ©risait ces sĂ©jours 1. SAND Ă CROISSET, 28-30 AoĂ»t 1866 Au mois dâaoĂ»t 1866, G. Sand se trouve Ă Paris pour les reprĂ©sentations des Don Juan de Village, piĂšce quâelle avait Ă©crite en collaboration avec son fils Maurice. Le 22, elle fait savoir Ă Flaubert quâelle a lâintention de lui rendre visite Ă Croisset, en revenant dâun sĂ©jour chez Alexandre Dumas fils, Ă Saint-ValĂ©ry 2. Flaubert rĂ©pond aussitĂŽt par un tĂ©lĂ©gramme et une lettre 3, fait prĂ©parer une chambre et se hĂąte dâannoncer la bonne nouvelle Ă sa niĂšce, afin quâelle puisse venir voir la cĂ©lĂšbre romanciĂšre Ta grandâmĂšre a voulu que je tâavertisse de cela, de peur que tu ne sois ensuite fĂąchĂ©e⊠de nâavoir pas vu Mme Sand » 4. Un moment, un rhume qui la retient au logis menace de gĂąter le plaisir, mais il faut croire que le mal sâest retirĂ© Ă temps, puisque la voilĂ qui arrive Mardi, 28 aoĂ»t 5 ⊠Jâarrive Ă Rouen Ă une heure. Je trouve Flaubert Ă la gare avec une voiture. Il me mĂšne voir la ville, les beaux monuments, la cathĂ©drale, lâhĂŽtel de ville, Saint-Maclou, Saint-Patrice 6 câest merveilleux. Un vieux charnier 7 et des vieilles rues, câest trĂšs curieux. Nous arrivons Ă Croisset Ă trois heures et demie. La mĂšre de Flaubert est une vieille charmante. Lâendroit est silencieux, la maison confortable et jolie et bien arrangĂ©e. Et un bon service, de la propretĂ©, de lâeau, des prĂ©visions, tout ce quâon peut souhaiter. Je suis comme un coq en pĂąte. Flaubert me lit le soir une Tentation de Saint-Antoine 8 superbe. Nous bavardons dans son cabinet jusquâĂ deux heures. Mercredi, 29 aoĂ»t Nous partons Ă onze heures par le bateau Ă vapeur, avec Mme Flaubert, sa niĂšce, son amie, Mme Vasse 9, et la fille de celle-ci, Mme de la ChaussĂ©e. Nous allons Ă La Bouille 10. Un temps affreux, pluie et vent. Mais je reste dehors Ă regarder lâeau qui est superbe. Et les rives idem. Ă La Bouille, on reste dix minutes, et on revient, avec la barre, ou le flot, ou le Mascaret, raz-de-marĂ©e On est rentrĂ© Ă une heure. On fait du feu, on se sĂšche, on prend du thĂ©. Je repars avec Flaubert pour faire le tour de sa propriĂ©tĂ©, jardin, terrasses, verger, potager, ferme, citadelle, une vieille maison de bois bien curieuse qui lui sert de cellier, â la Sente de MoĂŻse 11. La vue dâen haut sur la Seine, le verger, abri excellent tout en haut, le terrain sec et blanc au-dessus, tout charmant, trĂšs poĂ©tique. Je mâhabille ; on dĂźne trĂšs bien. Je joue aux cartes avec les deux vieilles dames. Je cause ensuite avec Flaubert et je me couche Ă deux heures. Excellent lit ; on dort bien. Mais je retousse ; mon rhume est mĂ©content tant pis pour lui. Jeudi, 30 aoĂ»t DĂ©part de Croisset Ă midi avec Flaubert et sa niĂšce. Nous la dĂ©posons Ă Rouen. Nous revoyons la ville, le port 12, câest vaste et superbe. Un beau baptistĂšre dans une Ă©glise de JĂ©suites 13. Flaubert mâemballe. Ils sont contents tous les deux de cette visite qui leur a permis de mieux se connaĂźtre. Toi, tu es un brave et bon garçon, tout grand homme que tu es, et je tâaime de tout mon cĆur », lui Ă©crit-elle le lendemain de son dĂ©part 14. Et Flaubert de rĂ©pondre Vous avez extrĂȘmement plu Ă tout le monde. Câest comme ça ! on ne tient pas contre lâirrĂ©sistible et involontaire sĂ©duction de votre personne » 15. DĂ©jĂ , ils Ă©prouvent le besoin dâun Ă©panchement plus intime encore. Vous ĂȘtes un ĂȘtre trĂšs Ă part, mystĂ©rieux », lui dit-elle peu aprĂšs. Jâai eu de grandes envies de vous questionner, mais un trop grand respect de vous mâen a empĂȘchĂ©e » 16. Lâoccasion se prĂ©sentera bientĂŽt. Car voilĂ que la premiĂšre reprĂ©sentation de la Conjuration dâAmboise appelle Flaubert Ă Paris AprĂšs la piĂšce de Bouilhet, rien ne vous empĂȘchera, jâespĂšre, de revenir ici avec moi, non pour un jour comme vous dites, mais pour une semaine au moins. Vous aurez votre chambre, avec un guĂ©ridon et tout ce quâil faut pour Ă©crire » 17. George Sand, qui vient de rentrer Ă Nohant, aprĂšs un voyage en Bretagne, accepte de bon cĆur Je ferai mon possible pour ĂȘtre Ă Paris Ă la reprĂ©sentation de la piĂšce de votre ami, et jây ferai mon devoir fraternel comme toujours ; aprĂšs quoi, nous irons chez vous et jây resterai huit jours⊠Nous bavarderons, vous et moi, tant et plus. Sâil fait beau, je vous forcerai Ă courir. Sâil pleut toujours, nous nous cuirons les os des guibolles en nous racontant nos peines de cĆur » 18. La premiĂšre a lieu le 29 octobre 1866, et quelques jours aprĂšs, Sand et Flaubert partent ensemble pour Croisset SAND Ă CROISSET, 3-10 novembre 1866 Samedi, 3 novembre 19 DĂ©part de Paris Ă une heure avec Flaubert. Express trĂšs rapide. Temps dĂ©licieux, charmant pays, bonne causerie. A Rouen-gare, nous trouvons Mme Flaubert et son autre fils, le mĂ©decin 20. Ă Croisset, tour de jardin, causerie, dĂźner, recauserie et lecture jusquâĂ une heure et demie. Bon lit, sommeil de plomb. Dimanche, 4 novembre Temps ravissant. Tour de jardin jusquâau verger. Travail. Je suis trĂšs bien dans ma chambrette ; il y fait chaud. Ă dĂźner, la niĂšce et son mari, la vieille dame CrĂ©pet 21, tante du CrĂ©pet de Valentine. Elle sâen va demain. Patiences. Gustave me lit ensuite la fĂ©erie 22. Câest plein de choses admirables et charmantes ; trop long, trop riche, trop plein. Nous causons encore. A deux heures et demie, jâai faim ; nous descendons chercher du poulet froid Ă la cuisine. Nous sortons une tĂȘte dans la cour pour chercher de lâeau Ă la pompe. Il fait doux comme au printemps. Nous mangeons, nous remontons, nous fumons, nous recausons ; nous nous quittons Ă quatre heures du matin. Lundi, 5 novembre Toujours un temps dĂ©licieux. AprĂšs dĂ©jeuner, nous allons nous promener. JâentraĂźne Gustave qui est hĂ©roĂŻque 23. Il sâhabille et il me conduit Ă Canteleu ; câest Ă deux pas, en haut de la cĂŽte. Quel adorable pays, quelle douce, large et belle vue ! Je rapporte une charge de polypiers de silex 24 ; il nây a que de ça ! Nous rentrons Ă trois heures. Je travaille. AprĂšs dĂźner, recauserie avec Gustave. Je lui lis Cadio 25. Nous recausons et nous soupons, dâune grappe de raisin et dâune tartine de confitures. Mardi, 6 novembre Il pleut. Nous partons Ă une heure, en bateau Ă vapeur, pour Rouen, avec la maman. Je vas 26 avec Gustave au Cabinet dâHistoire naturelle ; reçus par M. Pouchet 27 sourd comme un pot et malade, et faisant des efforts inouĂŻs pour ĂȘtre charmant. Impossible dâĂ©changer un mot avec lui. Mais de temps en temps, il explique, et câest intĂ©ressant. LâaptĂ©ryx 28 ; le longipode ; le nid de quatre-vingts mĂštres de tour, avec les Ćufs abandonnĂ©s dans le fumier ; les petits qui naissent avec des plumes ; collection de coquilles superbe. Cabinets de M. Pouchet son araignĂ©e vivante, mangeuse dâoiseaux, son crocodile 29. Nous descendons au MusĂ©e des FaĂŻences ; jardin, statues, fragments, porte de Corneille 30. Nous rentrons dĂźner chez Mme Caroline Commanville 31. Ensuite Ă la mĂ©nagerie Schmidt 32. Superbes animaux apprivoisĂ©s comme des chiens. Les fĆtus ; la femme Ă barbe ; une pantomime foire Saint-Romain 33. Nous rentrons Ă minuit et demi Ă Croisset, avec la maman qui est trĂšs vaillante et qui a fait une grande course Ă pied. Nous causons encore jusquâĂ deux heures. Mercredi, 7 novembre Temps gris, pas froid. Tour de jardin. Travail Ă MontrevĂšche 34. JournĂ©e raisonnable. Le soir, Flaubert me lit la premiĂšre partie de son roman 35. Câest bien, bien. Il lit depuis dix heures jusquâĂ deux. Nous causons jusquâĂ quatre. Jeudi, 8 novembre MĂȘme temps gris. Tour de jardin. Travail. DĂźner. Causerie. Lecture du roman de Flaubert. Causerie. Vendredi, 9 novembre Malade ce matin. Je ne dĂ©jeune pas. Beau temps. Le soleil se montre un peu. Je travaille. Je fais ma malle. Samedi, 10 novembre Je quitte Croisset, bien portante ou Ă peu prĂšs, Ă midi et demi. Flaubert et sa mĂšre me conduisent Ă la gare. Je pars Ă une heure trois-quarts. En arrivant Ă Paris, ce samedi soir-lĂ , Sand apprend la mort de son ami Charles Duveyrier. Malade de chagrin, elle sâĂ©panche Ă Flaubert dans quelques lettres toutes pleines de mĂ©lancolie. Je vous donne la part de mon cĆur quâil avait », lui Ă©crit-elle. âŠAimez-moi plus quâavant puisque jâai de la peine » 36. Car ils sont bien familiers maintenant, remplis dâadmiration lâun pour lâautre, Ă©tonnĂ©s de se dĂ©couvrir si diffĂ©rents et de sâaimer tout de mĂȘme, heureux de sâentendre, malgrĂ© leurs conceptions littĂ©raires diamĂ©tralement opposĂ©es. Ăcoutons Flaubert dans la premiĂšre lettre Ă©crite aprĂšs le dĂ©part de son amie Sous quelle constellation ĂȘtes-vous donc nĂ©e pour rĂ©unir dans votre personne des qualitĂ©s si diverses, si nombreuses et si rares ? Je ne sais pas quelle espĂšce de sentiment je vous porte, mais jâĂ©prouve pour vous une tendresse particuliĂšre et que je nâai ressentie pour personne jusquâĂ prĂ©sent. Nous nous entendions bien, nâest-ce pas ?⊠Nous nous sommes sĂ©parĂ©s au moment oĂč il allait nous venir sur les lĂšvres bien des choses. Toutes les portes, entre nous deux, ne sont pas encore ouvertes. Vous mâinspirez un grand respect, et je nâose pas vous faire de questions » 37. Et voici son opinion exprimĂ©e dans une lettre Ă Mme Roger des Genettes, et qui semble sincĂšre Mon illustre amie, Mme Sand, mâa quittĂ© samedi soir. On nâest pas meilleure femme, plus bon enfant, et moins bas-bleu. Elle travaillait toute la journĂ©e, et le soir nous bavardions comme des pies jusquâĂ des trois heures du matin. Quoi quâelle soit un peu trop bienveillante et bĂ©nisseuse, elle a des aperçus de trĂšs fin bon sens, pourvu quâelle nâenfourche pas son dada socialiste. TrĂšs rĂ©servĂ©e en ce qui la concerne, elle parle volontiers des hommes de 48 et appuie volontiers sur leur bonne volontĂ© plus que sur leur intelligence » 38. Câest Ă partir de ce sĂ©jour-lĂ quâils commencent Ă sâadresser cette correspondance admirable par laquelle, discutant et dĂ©fendant les questions les plus Ă©levĂ©es et les plus diverses, sans jamais pleinement sâaccorder, ils ont Ă©rigĂ© un des monuments les plus curieux et les plus importants de la littĂ©rature française. LâannĂ©e sâĂ©coule. Flaubert travaille pĂ©niblement Ă son Ăducation Sentimentale ; G. Sand, avec sa facilitĂ© ordinaire, continue MontrevĂšche et Cadio. Il y a bien, de part et dâautre, quelques projets de visite, que la maladie fait Ă©chouer. Deux fois mĂȘme, en septembre 1867, G. Sand passe tout prĂšs de Croisset, pendant un voyage en Normandie, mais Flaubert nâest pas lĂ pour lâaccueillir. En mai 1868 pourtant, elle va se rendre encore aux instances de son ami. Ils ont lâintention de partir ensemble pour Croisset vers le 20, malgrĂ© lâinquiĂ©tude quâinspire Ă Sand la maladie de son amie Esther Lambert 39. Mais voilĂ que, tout Ă coup, Flaubert, exaspĂ©rĂ© au plus haut point par les bruits de Paris qui lâempĂȘchent de dormir, se rĂ©sout Ă quitter la capitale et Ă retourner Ă Croisset 40. G. Sand le suivra peu de jours aprĂšs SAND Ă CROISSET, 24-26 mai 1868 Dimanche. 24 mai 41 âŠJe voyage avec un militaire qui me rĂ©veille en me tapant sur lâĂ©paule pour mâoffrir du sucre dâorge. Nous nous quittons bons amis. Flaubert mâattend Ă la gare et me force Ă aller pisser pour que je ne devienne pas comme Sainte-Beuve 42. Il pleut Ă Rouen, comme toujours. Je trouve la maman moins sourde, mais plus de jambes, hĂ©las ! Je dĂ©jeune, je cause en marchant sous la charmille que la pluie ne perce pas Je dors une heure et demie sur un fauteuil et Flaubert sur son divan. Nous recausons. On dĂźne avec la niĂšce, son mari et Mme Frankline 43. Gustave me lit ensuite une farce religieuse 44. Je me couche Ă minuit. Lundi, 25 mai Croisset. Temps superbe. On dĂ©jeune et on va en voiture Ă Saint-Georges 45, par une cavĂ©e charmante au milieu des bois. Des tas de fleurs partout le gĂ©ranium purpureum superbe ; des polygalas, une scrophulaire. Le Saint-Georges, ancienne abbaye romane trĂšs belle ; salle de chapitre trĂšs conservĂ©e. On va Ă Duclair 46, oĂč on laisse reposer les chevaux, et on revient par Canteleu oĂč je monte sur le siĂšge pour voir le pays admirable. La descente, enchantĂ©e. On dĂźne avec les mĂȘmes et M. Commanville qui a le front plat. Mme Frankline chante, mal. Nous montons Ă neuf heures. Flaubert me lit trois cents pages excellentes 47 et qui me charment. Je me couche Ă deux heures. Je tousse beaucoup. Le tulipier est couvert de fleurs 48. Mardi, 26 mai Partie de Croisset Ă midi avec Gustave. BibliothĂšque de la ville, visite Ă Bouilhet ahuri 49. DĂ©part Ă une heure et demie. Pionçade jusquâĂ Paris⊠Je vas dĂźner avec Maxime Du Camp ; il est bien gentil, brave cĆur⊠à peine G. Sand partie, Flaubert la regrette mĂ©lancoliquement Je pense Ă vous », lui Ă©crit-il le 28 mai dĂ©jĂ . Je mâennuie de vous et je voudrais vous revoir, voilà ⊠Il faudra sâarranger pour venir ici cet automne passer une quinzaine » 50. Car il semble quâil a besoin dâelle pour lui remonter le moral » qui est dĂ©jĂ bien bas souvent. Voici comment il sâexprime Ă ce sujet dans une lettre Ă Mlle Leroyer de Chantepie Jâai eu pendant quelques jours, le mois dernier, la visite de notre amie Mme Sand. Quelle nature ! Quelle force ! Et personne en mĂȘme temps nâest dâune sociĂ©tĂ© plus calmante. Elle vous communique quelque chose de sa sĂ©rĂ©nitĂ© » 51. Mais lâautomne passe, et pas de G. Sand Ă Croisset ! La visite dont elle vient de nous raconter les dĂ©tails aura Ă©tĂ© la derniĂšre ! Dâautre part, Flaubert aussi dĂ©cline les invitations. En avril 1868 dĂ©jĂ , il lui a Ă©crit Je serais perdu si je bougeais dâici la fin de mon roman. Votre ami est un bonhomme en cire ; tout sâimprime dessus, sây incruste, y entre. Revenu de chez vous, je ne songerais plus quâĂ vous, et aux vĂŽtres, Ă votre maison, Ă vos paysages, aux mines des gens que jâaurais rencontrĂ©s, etc. Il me faut de grands efforts pour me recueillir ; Ă chaque moment je dĂ©borde » 52. Pour la mĂȘme raison, il refuse dâassister au baptĂȘme des petites-filles de G. Sand, en dĂ©cembre 1868, fĂȘte Ă laquelle on lâinvite avec instance Si jâallais chez vous Ă Nohant, jâen aurais ensuite pour un mois de rĂȘverie sur mon voyage. Des images rĂ©elles remplaceraient dans mon pauvre cerveau les images fictives que je compose Ă grandâpeine. Tout mon chĂąteau de cartes sâĂ©croulerait » 53. Le roman avant tout en effet, avant lâamour, avant lâamitiĂ©, avant le bonheur personnel ! Câest comme ça chez Flaubert, hĂ©las ! LâĂducation Sentimentale achevĂ©e, voilĂ un autre empĂȘchement la mort de son ami le plus intime, son alter ego, Louis Bouilhet. Flaubert va se mettre en quatre, sans succĂšs dâailleurs, pour faire jouer une de ses piĂšces posthumes Mademoiselle AĂŻssĂ© 54. Enfin, il promet sa visite pour NoĂ«l 1869. Sand, devenue sceptique, lui rappelle cette promesse tous les jours, avec parfois un peu dâironie malicieuse Lina 55 me charge de te dire quâon tâautorisera Ă ne pas quitter ta robe de chambre et tes pantoufles. Il nây a pas de dames, pas dâĂ©trangers. Enfin, tu nous rendras bien heureux et il y a longtemps que tu promets⊠» 56. Cette fois-ci pourtant, câest pour de bon FLAUBERT Ă NOHANT, 23-28 dĂ©cembre 1869 Jeudi, 23 dĂ©cembre 57 ⊠Flaubert et Plauchut 58 arrivent Ă cinq heures et demie. On sâembrasse, on dĂźne, on cause, on joue du python 59 et des airs arabes. Flaubert raconte des histoires. On se quitte Ă une heure. Vendredi, 24 dĂ©cembre Pluie et neige toute la journĂ©e. On est gai⊠Je descends dĂ©jeuner avec les autres Ă onze heures. Flaubert donne aux fillettes 60 des Ă©trennes qui les charment. Lolo porte son bĂ©bĂ© toute la journĂ©e. Elle joue dans ma chambre oĂč je reçois Flaubert et Plauchut. Et elle fait leur admiration. Elle a sa belle toilette ; Titite aussi. Tous les jeunes gens 61 viennent et dĂźnent. AprĂšs, les marionnettes, la tombola, un dĂ©cor fĂ©erique. Flaubert sâamuse comme un moutard. Arbre de NoĂ«l sur le théùtre. Cadeaux Ă tous. Lolo sâamuse ; elle est charmante et va se coucher sagement. Lina chaude et ravie. On fait RĂ©veillon splendide. Je monte Ă trois heures. Samedi, 25 dĂ©cembre On dĂ©jeune Ă midi. Tout le monde est restĂ©, sauf Planet. Flaubert nous lit de trois Ă six heures et demie sa grande fĂ©erie 62, qui fait grand plaisir, mais qui nâest pas destinĂ©e Ă rĂ©ussir. Elle nous plaĂźt fort ; on en cause beaucoup. Comme on dĂźne tard, Lolo dĂźne avec sa sĆur. Je lâai Ă peine vue aujourdâhui. On est trĂšs gai ce soir. Flaubert nous fait crever de rire avec lâEnfant prodigue 63. Dimanche, 26 dĂ©cembre Beau temps bien froid. On sort au jardin, mĂȘme Flaubert qui veut voir la ferme. Nous allons partout. On lui prĂ©sente le bĂ©lier Gustave. On cause au salon, on est calme. Les fillettes charmantes. RenĂ© et Edme sâen vont. Ă trois heures, Maurice se dĂ©cide Ă jouer avec Edme une improvisation, qui est charmante. Le premier acte admirablement rĂ©ussi, le second trop long ; mais trĂšs comique encore. Flaubert rit Ă se tordre. Il apprĂ©cie les marionnettes. Edme est excellent, plein dâesprit. Je monte Ă deux heures. Lundi, 27 dĂ©cembre Il neige sans dĂ©semparer. Fadet 64 ne veut pas mettre la patte dehors. On dĂ©jeune Ă midi. Lolo danse toutes ses danses. Flaubert sâhabille en femme et danse le cachucha 65 avec Plauchut. Câest grotesque ; on est comme des fous. Visite de M. et Mme Duvernet 66 qui nous calme. Visite du docteur. Edme et Antoine 67 parlent. Nous passons sagement la soirĂ©e Ă causer. Adieux de Flaubert. DĂ©cidĂ©ment, Flaubert est conquis par le monde de Nohant. Pendant toute la route, je nâai pensĂ© quâĂ Nohant », Ă©crit-il le 30 dĂ©cembre Je ne peux pas vous dire combien je suis attendri de votre rĂ©ception. Quels braves et aimables gens vous faites tous. Maurice me semble lâhomme heureux par excellence, et je ne puis mâempĂȘcher de lâenvier, voilĂ ! BĂ©cotez de ma part Mlle Lolo, dont je mâennuie extrĂȘmement. Mes compliments Ă Coq-en-bois 68 et Ă tous les chers lubriques » dont jâai partagĂ© les festins. Et puisque câest le moment des souhaits de bonne annĂ©e, je vous souhaite Ă tous la mĂȘme continuation, car je ne vois pas ce qui vous manque » 69. Les Ă©vĂ©nements de 1870-71 empĂȘchent provisoirement Flaubert de faire un nouveau sĂ©jour en Berry. Quant Ă G. Sand, elle vieillit peu Ă peu ; souvent malade, elle nâaime plus tellement les voyages ; elle prĂ©fĂšre rester tranquillement dans son intime Nohant, au milieu dâune famille et dâamis qui lâadorent. Elle fait pleuvoir les invitations sur la tĂȘte de Flaubert qui, de plus en plus maussade et misanthrope, se dĂ©robe toujours. Sand le lui reproche affectueusement Triste ou gai, je tâaime et je tâattends toujours, bien que tu ne parles jamais de venir nous voir et que tu en regrettes lâoccasion avec empressement ; on tâaime chez nous quand mĂȘme ; on nâest pas assez littĂ©raire pour toi, chez nous, je le sais ; mais on aime et ça emploie la vie » 70. Il promet Ă la fin de venir en janvier 1873, avec son grand ami Tourgueneff. Mais le temps sâĂ©coule ; Flaubert est retenu au logis par une grippe tenace. Et quand il est guĂ©ri, voilĂ que lâĂ©crivain russe, poire molle », comme le caractĂ©rise Flaubert, ne fait que diffĂ©rer la visite de jour en jour. Enfin, ils font le serment solennel » de partir le 12 avril, veille de PĂąques. Mais câest Flaubert seul qui entreprend le voyage, et Tourgueneff, Ă©tant encore retenu Ă Paris, nâarrivera que le 16 FLAUBERT A NOHANT. 12-19 avril 1873 Samedi, 12 avril 71 âŠFlaubert arrive pendant le dĂźner. Il a plutĂŽt maigri quâengraissĂ©. Plauchut, qui se croit mince, est aussi gros que lui. On joue au domino ; Flaubert y joue bien, mais ça lâĂ©touffe. Il aime mieux causer avec feu. Plauchut, dĂ©mocrate en chambre, soutient la bordĂ©e ; Maurice va de lâun Ă lâautre. JâĂ©coute. Dimanche, 13 avril, jour de PĂąques Enfin, le soleil est revenu, il fait beau. Lina fĂȘte le printemps Ă dĂ©jeuner il y a des fleurs sur la nappe et on mange du poussin. On va au jardin, Ă la ferme, aux Ă©tables, Ă Gustave 72, Ă toutes les bĂȘtes. Flaubert fouille la bibliothĂšque et ne trouve rien quâil ne connaisse. RenĂ© et le Docteur viennent dĂźner ; aprĂšs, on danse. Flaubert met une jupe et essaie le fandango 73. Il est bien drĂŽle, mais il Ă©touffe au bout de cinq minutes. Il est bien plus vieux que moi. Pourtant, je le trouve moins gros et moins fatiguĂ© dâaspect. Toujours trop vivant par le cerveau au dĂ©triment du corps. Notre vacarme lâassourdit. Plauchut est comme fou. Maurice a Ă©tĂ© dans la brande avec Aurore. Ils ont dĂ©couvert une mardelle 74, enfin ! Elle est ivre dâair et de plaisir. Ce soir, elle danse. Domino avec les jeunes gens. Vers minuit, Maurice Ă©pate Flaubert avec ses papillons 75. Lundi, 14 avril TrĂšs beau temps, trop chaud Ă midi. Jardin. Leçon de Lolo 76, qui est enrhumĂ©e du cerveau et qui a ce soir un petit mouvement de fiĂšvre aprĂšs dĂźner. Flaubert nous lit son Saint-Antoine 77, de trois Ă six et de neuf Ă minuit. Câest splendide. RenĂ© et le Docteur sont venus et dĂźnent. Ferri 78 arrive au beau milieu de la lecture, entend avec grand plaisir deux chapitres et va dĂźner chez AngĂšle 79, pour revenir demain matin. RenĂ© est enchantĂ©, le Docteur trĂšs intĂ©ressĂ©, moi tout Ă fait saisie et satisfaite, Plauchut Ă©patĂ© et comme rouĂ© de coups, Maurice trĂšs empoignĂ©, jusquâĂ avoir mal Ă la tĂȘte assez fort. Mardi, 15 avril TrĂšs beau temps. JournĂ©e dehors Ă causer au jardin tout en fleurs, sans trop de rien, câest-Ă -dire sans rien de trop au ciel et sur la terre. Ferri est venu dĂ©jeuner avec nous. Il est toujours charmant ; il sâen va Ă deux heures. Je reste encore avec Flaubert Ă causer jusquâĂ quatre heures. Je donne la leçon Ă Lolo. Le soir, on cause, on rit. Mercredi, 16 avril JournĂ©e grise, trĂšs chaude, mais trĂšs agrĂ©able. Nous partons pour la brande Ă midi ; nous allons tous voir la mardelle que Maurice a dĂ©couverte avec Lolo. Câest un grand trou oĂč se rend une eau tourbeuse ; câest tapissĂ© de grandes fougĂšres sĂšches sous lesquelles poussent au fond des herbes fraĂźches, des viola corrina, pulicaires, primevĂšres et de jeunes arbres. Promenade Ă pied dans les genĂȘts autour dâun joli bois de pins. Les orchis commencent Ă fleurir ; ce rose est charmant. Lolo marche comme un petit homme et Titite pas mal. On rentre pour sâhabiller et dĂźner. Tourgueneff arrive Ă la fin. Il va bien ; il est ingambe et rajeuni 80. On cause jusquâĂ minuit. Jeudi, 17 avril Mauvais temps. Je ne sors pas ; les enfants non plus. Leçon dâAurore. Causerie avec Tourgueneff et Flaubert. Tourgueneff nous lit une drĂŽlerie trĂšs animĂ©e. Les jeunes gens viennent dĂźner. On mange la dinde truffĂ©e, le pair de Plauchut. AprĂšs, on saute, on danse, on chante, on crie, on casse la tĂȘte Ă Flaubert qui veut toujours tout empĂȘcher pour parler littĂ©rature. Il est dĂ©bordĂ©. Tourgueneff aime le bruit et la gaĂźtĂ© ; il est aussi enfant que nous. Il danse, il valse. Quel bon et brave homme de gĂ©nie ! Maurice nous lit la Balade Ă la Nuit, on ne peut mieux. Il a grand succĂšs. Il Ă©pate Flaubert Ă propos de tout. Vendredi, 18 avril Joli temps. Il a plu considĂ©rablement. La fosse a montĂ© une marche. Tout fleurit, les lilas, les cragaegi 81 ; les arbres de Sainte-Lucie passent dĂ©jĂ . Jardin tout le monde. Leçon de Lolo. Causerie de Flaubert bien animĂ©e et drĂŽle, mais il nây en a que pour lui, et Tourgueneff, qui est bien plus intĂ©ressant, a peine Ă placer un mot. Ce soir, câest un assaut jusquâĂ une heure. Enfin, on se dit adieu. Ils partent demain matin. Plauchut reste pour mâattendre. Samedi, 19 avril On, vit avec le caractĂšre plus quâavec lâintelligence et la grandeur. Je suis fatiguĂ©e, courbaturĂ©e, de mon cher Flaubert. Je lâaime pourtant beaucoup et il est excellent, mais trop exubĂ©rant de personnalitĂ©. Il nous brise. Il pleut Ă verse depuis midi. Je donne la leçon, Ă Lolo. JâĂ©cris des lettres ; je ne sors pas. Ce soir, on danse, on fait du bruit, on joue aux dominos, on est bĂȘte avec dĂ©lices. On regrette Tourgueneff quâon connaĂźt moins, quâon aime moins, mais qui a la grĂące de la simplicitĂ© vraie et le charme de la bonhomie. Est-ce Ă dire que Flaubert se soit peu amusĂ© Ă Nohant ? Voici ce quâil Ă©crit Ă son amie, quelques jours aprĂšs son dĂ©part Il nây a que cinq jours depuis notre sĂ©paration et je mâennuie de vous comme une bĂȘte. Je mâennuie dâAurore et de toute la maisonnĂ©e, jusquâĂ Fadet. Oui, câest comme ça ; on est si bien chez vous ! vous ĂȘtes si bons et si spirituels ! Pourquoi ne peut-on vivre ensemble ? Pourquoi la vie est-elle toujours mal arrangĂ©e ? Maurice me semble ĂȘtre le type du bonheur humain. Que lui manque-t-il ? Certainement il nâa pas de plus grand envieux que moi » 82. Mais câest bien la derniĂšre fois que Flaubert est allĂ© chez son amie Ă Nohant, malgrĂ© plusieurs invitations pressantes. Ils ne se reverront plus quâĂ Paris, le mois suivant. Et puis, câest tout. Elle meurt, la bonne dame de Nohant », le 8 juin 1876, et parmi les amis venus de Paris pour assister Ă son enterrement, se trouve Flaubert, pleurant comme un veau ». Il fallait la connaĂźtre comme je lâai connue », Ă©crit-il peu aprĂšs Ă Mlle Leroyer de Chantepie, pour savoir tout ce quâil y avait de fĂ©minin dans ce grand homme, lâimmensitĂ© de tendresse qui se trouvait dans ce gĂ©nie. Elle restera une des illustrations de la France et une gloire unique » 83. Aurait-il pu mieux exprimer lâadmiration, le respect, la tendresse quâil avait vouĂ©s Ă celle quâil appelait sa chĂšre maĂźtre » ? Jacobs. 1 Nous avons pu copier ces passages Ă la BibliothĂšque Nationale, grĂące Ă la bienveillance de Mme Cordrocâh, bibliothĂ©caire au DĂ©partement des Manuscrits ; quâelle veuille bien accepter nos vifs remerciements. Une partie importante de ces relations a Ă©tĂ© publiĂ©e par M. AndrĂ© Maurois dans son beau livre LĂ©lla ou la Vie de George Sand, Paris, Hachette, 1952. Nous remercions lâauteur qui a bien voulu nous permettre de reproduire ces passages pour rendre notre rĂ©cit aussi complet que possible. Pour lâannotation de cet article, enfin, nous devons plusieurs renseignements Ă M. Jacques. Toutain, PrĂ©sident des Amis de Flaubert, dont on connaĂźt le zĂšle infatigable pour rendre service aux admirateurs du grand maĂźtre de Croisset. 2 Cf. Correspondance entre George Sand et Gustave Flaubert, Paris, Calmann-LĂ©vy, s. cl. 1916, p. 10, lettres n° XII et XIII. 3 Ćuvres complĂštes de Gustave Flaubert. Correspondance, t. V, 1929, lettre n° 862. 4 Ibid. n° 861. 5 Agenda de G. Sand, 1866. Bibl. Nat., DĂ©partement des Manuscrits, nouv. acq. fr. 6 Saint Maclou, Ă©glise de style gothique flamboyant, de pierre entiĂšrement sculptĂ©e, une des merveilles de Rouen ; Saint-Patrice, Ă©glise gothique, connue surtout par ses vitraux magnifiques. 7 Ancien cimetiĂšre situĂ© Ă cĂŽtĂ© de lâĂ©glise Saint-Maclou et dont les bĂątiments existent toujours AĂźtre Saint-Maclou. 8 Il sâagit Ă©videmment de la version de 1806. 9 Mme Vasse G. Sand Ă©crit Mme Vaas Ă©tait une amie dâenfance de Mme Flaubert. Une de ses filles, Coralie, Ă©tait lâĂ©pouse de lâofficier M. de la ChaussĂ©e. 10 Village situĂ© sur la Seine, Ăą dix-huit kilomĂštres au Sud-Ouest de Rouen. 11 Petit chemin rocailleux menant de Croisset Ă Canteleu et passant prĂšs de la propriĂ©tĂ© de Flaubert. Il a disparu lorsquâon a construit lâusine qui se trouve actuellement sur lâemplacement de la maison Flaubert. 12 Dans son Agenda, George Sand Ă©crit bien lisiblement le pont, ce qui est Ă©videmment une erreur. 13 Il y a dans lâĂ©glise Saint-Romain des fonts baptismaux dont le dĂŽme en bois est ornĂ© de bas-reliefs de la Renaissance, reprĂ©sentant des scĂšnes de la Passion. 14 Corr., p. 11, n° XIV. 15 Corr. de Fl. SupplĂ©ment Ăd. Jacques Lambert, t. II, n° 318. 16 Corr. p. 13, n° XVI. 17 Corr. de Fl. Ăd. Conard, t. V, n° 868. 18 Corr. p. 18, n° XVIII. 19 Agenda de G. Sand, 1866. Bibl. Nat., DĂ©pt des Mss, n. a. fr. 20 Achille Flaubert, chirurgien en chef de lâHĂŽtel-Dieu de Rouen. Il Ă©tait de neuf ans plus ĂągĂ© que Gustave. 21 Femme dâun magistrat de Rouen et mĂšre dâEugĂšne CrĂ©pet, qui Ă©tait lâami de Baudelaire et de Flaubert. 22 Le ChĂąteau des CĆurs, fait en collaboration avec Louis Bouilhet et le comte dâOsmoy. MalgrĂ© de nombreuses dĂ©marches de la part de Flaubert, la piĂšce ne fut jamais jouĂ©e. 23 On sait le peu de goĂ»t que Flaubert Ă©prouvait pour la promenade et lâexercice physique. 24 Squelette calcaire ou cornĂ© sĂ©crĂ©tĂ© par les polypes. 25 Roman dialoguĂ©, publiĂ© dans la Revue des Deux-Mondes, du 1er septembre au 15 novembre 1867, paru en volume en avril 1868. Paul Meurice lâadapta Ă la scĂšne ; la premiĂšre reprĂ©sentation eut lieu Ă la Porte Saint-Martin, le 3 octobre 1868. 26 Sand nâĂ©crit presque jamais je vais » dans sa prose familiĂšre. 27 FĂ©lix-ArchimĂšde Pouchet, mĂ©decin et naturaliste, directeur du MusĂ©um dâHistoire naturelle Ă Rouen, membre de lâAcadĂ©mie des Sciences. Son fils, Georges Pouchet, mĂ©decin et naturaliste comme son pĂšre, Ă©tait un ami assez intime de Flaubert. 28 Kiwi, genre dâoiseau propre Ă la rĂ©gion austro-zĂ©landaise. 29 Citons ici, Ă titre de curiositĂ©, un fragment inĂ©dit de la lettre de Flaubert Ă Sand du 27 dĂ©cembre 1866. Corr. Ăd. Conard, T. V, n° 867. Lâautographe est conservĂ© dans la Coll. SpĆlberch de Lovenjoul, Ă Chantilly Ah, jâoubliais une commission le pĂšre Pouchet mâa chargĂ© de vous dire que Il Ă©tait tellement troublĂ© par votre prĂ©sence, quâil avait oubliĂ© de vous dire que non seulement il admirait vos Ćuvres dĂ©mesurĂ©ment, mais encore celles de votre fils, etc. Quand il veut sâĂ©gayer, il ouvre Masques et Visages. Et il est revenu sur sa barbe qui nâĂ©tait pas faite ce jour-là ». Quant au livre de Maurice Sand, Flaubert fait Ă©videmment allusion aux Masques et Bouffons ComĂ©die Italienne, Paris, Michel LĂ©vy. 30 Lâancien MusĂ©e des FaĂŻences » est devenu depuis le MusĂ©e des AntiquitĂ©s », les faĂŻences ayant Ă©tĂ© transposĂ©es dans un nouveau musĂ©e, dit MusĂ©e des cĂ©ramiques ». Dans le jardin qui entourait le MusĂ©e des FaĂŻences, on avait mis beaucoup dâantiquitĂ©s rouennaises pierres et statues ; Ă lâintĂ©rieur du MusĂ©e, se trouvait et se trouve encore une porte en bois de chĂȘne provenant de la maison de Pierre Corneille, Ă Rouen. 31 NiĂšce de Flaubert. Sand orthographie Comenville ». 32 La Chronique de Rouen des 1er et 15 novembre 1866 signale la mĂ©nagerie Schmidt, installĂ©e au Cirque Sainte-Marie de la foire Saint-Romain et comprenant treize lions, un tigre de Bengale, lĂ©opards, hyĂšnes, ours noirs et blancs, un Ă©norme Ă©lĂ©phant, reptiles et crocodiles. 33 Câest probablement Ă cette occasion que Flaubert et G. Sand virent la Tentation de Saint-Antoine dans la baraque du pĂšre Legrain. 34 PiĂšce que G. Sand voulait tirer du roman du mĂȘme titre, paru en 1852. En mars 1867, elle renonça Ă ce projet cf. lettre Ă Flaubert du 4 mars 1867, Corr. p. 75. 35 LâĂducation Sentimentale. 36 Corr. lettres XXIV et XXVII, pp. 27 et 31. 37 Corr. Ăd. Conard, T. V, n° 876. 38 Ibid., n° 875. 39 Femme du peintre EugĂšne Lambert. Elle Ă©tait sur le point dâaccoucher, mais des complications rendaient lâĂ©vĂ©nement prĂ©caire. 40 On peut lire le rĂ©cit amusant de cette terrible journĂ©e dans une lettre aux Goncourt. Corr., Ăd. Conard, T. V, n° 968. 41 Agenda de G. Sand, 1868. B. N., Dt des Mss, n. a. fr. 42 Sainte-Beuve souffrait Ă ce moment dâune maladie de vessie. 43 Mme Frankline Grout, amie de Caroline Commanville, la niĂšce de Flaubert. Sand Ă©crit, Franqueline » . 44 Sâagirait-il dĂ©jĂ de la Vie et Travaux du Cruchard ? Ou plutĂŽt de LâEnfant prodigue ?Voir ce que Sand dit le 25 dĂ©cembre 1869. 45 Il existe dans le village de Saint-Martin-de-Boscherville une Ă©glise cĂ©lĂšbre du 13e siĂšcle art roman dans sa plĂ©nitude, intitulĂ©e Abbaye de Saint-Georges-de-Boscherville. LâĂ©glise est encore solide, mais il ne reste de lâAbbaye quâun petit cloĂźtre et quelques salles. 46 Petite ville, situĂ©e sur la Seine, Ă vingt kilomĂštres Ă lâOuest de Rouen. 47 De lâĂducation Sentimentale. 48 Ce tulipier intĂ©ressait hautement G. Sand. Ă sa premiĂšre visite, elle lâavait dĂ©jĂ remarquĂ©, et aprĂšs son retour Ă Paris, elle en avait rĂ©clamĂ© quelques feuilles. Cf. Corr. pp. 11 et 12. 49 Bouilhet Ă©tait conservateur de la BibliothĂšque de Rouen depuis mai 1867. 50 Corr., Suppl., T. II, n° 386. 51 Corr., Ăd. Conard, T. V, n° 974. 52 Ibid., n° 966. 53 Ibid., n° 1005. 54 La piĂšce ne devait ĂȘtre jouĂ©e que le 6 janvier 1872. 55 Ăpouse de Maurice, le fils de G. Sand. 56 Corr. p. 190, n° CXL. 57 Agenda de G. Sand, 1869. B. N., Dt des Mss, n. a. fr. 58 Edmond Plauchut, ami intime de G. Sand. 59 Plaisanterie pour serpent, instrument de musique. 60 Maurice Sand avait Ă©pousĂ©, en 1862, Lina Calamatta, fille du graveur italien Luigi Calamatta. Ils avaient deux filles, Aurore Lolo, nĂ©e le 9 janvier 1866 etGabrielle Titite, nĂ©e le 12 mars 1868. CâĂ©tait surtout Aurore que Sand adorait. 61 Ainsi sont dĂ©signĂ©s ordinairement, dans les Ă©crits familiers de G. Sand, ses nouveaux amis, souvent trĂšs jeunes encore, habitant La ChĂątre et les environs de Nohant. Ă ce cercle appartiennent, entre autres, Maxime de Planet et les petits-neveux de Sand, RenĂ©, Edme, et Albert Simonnet. Ils venaient souvent la voir pour, Ă©gayer sa vieillesse. 62 Le ChĂąteau des CĆurs. 63 Voir la note 44. 64 Le chien de Nohant. 65 Danse espagnole trĂšs populaire. 66 Anciens amis de G. Sand, habitant La ChĂątre. 67 Antoine Ludre, fils de lâavouĂ© de G. Sand et un des jeunes gens ». 68 Personnage du théùtre cles marionnettes. 69 Corr. Suppl., T. II, n° 475. 70 Corr. p. 339, n° CCLX. 71 Agenda de G. Sand, 1873. B. N., PDt des Mss, n. a. fr. 72 Le bĂ©lier. 73 Danse espagnole dâun caractĂšre voluptueux. 74 Mardelle, syn. de Margelle. Nom donnĂ© dans le Berry aux effondrements tronconiques produits par le passage des eaux souterraines Ă travers lâargile Ă silex et que lâon a attribuĂ©s dâabord Ă la main de lâhomme. Larousse du XXe siĂšcle. 75 Maurice Sand avait publiĂ© en 1806 Le Monde des Papillons Paris, Rothschild. 76 Sand tenait Ă instruire elle-mĂȘme sa petite-fille. Elle ne se privait que rarement de ce plaisir, mĂȘme quand elle Ă©tait malade ou quâil y avait des visiteurs. 77 TerminĂ© en 1872 dĂ©jĂ , mais publiĂ© seulement en 1874. 78 Le GĂ©nĂ©ral Ferri-Pisani, attachĂ© Ă la Maison du Prince JĂ©rĂŽme Bonaparte, grand ami de G. Sand. 79 Mme AngĂšle PĂ©rigois, nĂ©e NĂ©raud, amie de G. Sand, habitant non loin de Nohant. 80 On sait que Tourgueneff souffrait trĂšs souvent de la goutte. 81 AubĂ©pines. 82 Corr., Ăd. Conard, T. VII, n° 1367. 83 Ibid., n° 1383.
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Lettre vagabonde â 28 juillet 2019 De tous les temps, les femmes ont eu quelque chose Ă dire. Leurs voix furent souvent recouvertes dâindiffĂ©rence et Ă©crasĂ©es sous le mĂ©pris. George Sand semble faire exception. Elle vĂ©cut une vie trĂ©pidante et dĂ©vouĂ©e Ă toutes les causes. Elle a fait couler beaucoup dâencre en affichant une libertĂ© farouche et hors norme pour son Ă©poque. La formidable biographie de Michelle Perrot, publiĂ©e en 2018, apporte un Ă©clairage indispensable sur une figure de proue de son temps. Michelle Perrot nous entraĂźne dans les activitĂ©s palpitantes de Nohant jusquâĂ la mort, en 1876, de lâĂąme qui en dĂ©tenait le sĂ©same ouvre-toi. George Sand Ă Nohant Une maison dâartiste, » nous fait apprĂ©cier et admirer un grand esprit du XIXe siĂšcle. La biographe a entrepris des recherches poussĂ©es Ă commencer par la lecture de la volumineuse correspondance de ce monument Ă©pistolaire. » Ses lettres furent publiĂ©es en vingt-six tomes sous la direction de Georges Lubin. En tout cinquante mille lettres envoyĂ©es Ă vingt mille correspondants. Active, talentueuse, littĂ©raire et scientifique, George Sand contribuera Ă rendre meilleure la vie des gens. Elle professait ses idĂ©es libĂ©rales accordant plus de libertĂ© au peuple français, aux gens de la campagne. Elle dĂ©plorait la condition des femmes sous le joug dâune autoritĂ© masculine. Auteure de cent romans dont La petite Fadette, Consuelo et La mare au diable, on la retrouve passionnĂ©e pour la musique, le théùtre, la peinture. Cette femme sâinvestit Ă©galement dans lâĂ©ducation, la politique, lâagriculture, la botanique, lâentomologie et la minĂ©ralogie. Des activitĂ©s dans tous ces domaines se dĂ©roulent Ă Nohant. GrĂące Ă son Ă©criture, elle supportera financiĂšrement les artistes et scientifiques se rassemblant sous son toit. Heureusement, elle avait la plume facile. Je reconnus que jâĂ©crivais vite, facilement, longtemps, sans fatigue. » clamait lâĂ©crivaine en ajoutant, Jâai beaucoup de plaisir et dâamusement Ă Ă©crire. » GrĂące Ă ses voyages et Ă son intarissable curiositĂ©, George Sand se maintenait Ă la fine pointe des courants majeurs qui secouaient son pays. Elle dĂ©fendit la cause des paysans et fit la promotion de clubs privĂ©s afin dâinstruire et former la population en politique. Se soulevant contre la condition infĂ©rieure subie par les femmes, elle qualifiait les mariages arrangĂ©s dâune forme de prostitution et de viol. Si elle consacrait son temps Ă lâinstruction de ses enfants, Solange et Maurice, elle veillait aussi Ă instruire les domestiques et femmes de chambre. Elle leur apprenait Ă lire. Nohant sâavĂšre un lieu accueillant et ouvert Ă toute forme de savoir. Elle rĂȘvait grand pour Nohant et la maison fut transformĂ©e Ă la dimension de ses projets. Les dĂźners de quinze convives Ă©taient monnaie courante. Les curieux et les amis Ă©taient rentrĂ©s dans lâorbite de Sand, de cette communautĂ© des goĂ»ts, des intelligences et des cĆurs quâelle rĂȘvait de constituer. » Pour Sand, lâart se perdrait certainement sâil ne crĂ©ait pas de sanctuaires pour se retremper. » Auquel ajoute Michelle Perrot, Une oasis, un sanctuaire la vocation idĂ©ale de Nohant. » George Sand dĂ©ploie un dĂ©vouement inconditionnel aux artistes. Une chambre Ă la porte capitonnĂ©e offrit Ă FrĂ©dĂ©ric Chopin un lieu privilĂ©giĂ© oĂč il composa la majeure partie de ses Ćuvres. Des carriĂšres de chanteuses, de musiciens prirent leur essor en ces lieux. Les peintres ne furent pas en reste. Se succĂ©dĂšrent Ă Nohant EugĂšne Delacroix, ThĂ©odore Rousseau et bien dâautres. Ils furent dotĂ©s dâun vaste atelier. Maurice, le fils, eut aussi droit Ă son atelier oĂč il sâadonna aux dessins et Ă lâaquarelle. Parmi les Ă©crivains, citons HonorĂ© de Balzac, Gustave Flaubert, Tourgueniev, ThĂ©ophile Gauthier. Alexandre Dumas y sĂ©journa plus dâun mois et demi. Comme George Sand admirait toute forme dâart, elle amĂ©nagea une loge, une scĂšne et une salle ouverte au public du Berry. De grands comĂ©diens y jouĂšrent dont Arnaud Passy et Pierre Bocage. Avec Maurice Sand, le théùtre de marionnettes fut reconnu et perfectionnĂ©. La mĂšre confectionnait les costumes des personnages confectionnĂ©s par le fils. Savants et politiciens, sous la RĂ©publique sâarrogent les faveurs et lâappui de la dame de Nohant. Elle accueille les opposants au dogmatisme clĂ©rical et Ă lâaristocratie rĂ©trograde. Elle-mĂȘme adhĂšre Ă la rĂ©publique dĂ©mocratique et sociale. Il existe bien des façons de sâinstruire et George Sand les emprunte toutes. On retrouve des volumes dans bon nombre de domaines scientifiques et artistiques. Pour chacun de ces domaines, elle a invitĂ© Ă Nohant dâĂ©minents spĂ©cialistes et entreprit des voyages dâexploration. Elle aura Ă©tudiĂ© dans toutes ces branches de savoir. Ses jardins bien amĂ©nagĂ©s sont la preuve de ses connaissances en botanique. La protection de la nature fut son champ de bataille. Pour accommoder tous les gens qui sĂ©journent chez elle, Sand aura créé deux ateliers de peinture, un atelier de gravure, une bibliothĂšque de huit mille volumes, un petit théùtre et un magasin de dĂ©cor. Toutes les piĂšces sont remplies. MalgrĂ© son peu de fortune, la dame de Nohant aura contribuĂ© Ă lâavancement des arts, de la littĂ©rature et des sciences, et ce mĂȘme Ă lâextĂ©rieur de la France. En Californie, elle a financĂ© une communautĂ© du nom de Commune libre de Mokelumne Hill oĂč se rassemblait lâimmigration française. On se demande oĂč lâĂ©crivaine trouvait le temps dâĂ©crire. Lâhoraire de George Sand travailler, dormir, manger. » Son lieu dâĂ©criture, une chambre si exiguĂ« quâelle installe un hamac au lieu dâun lit et un bureau au lieu dâune table dâĂ©criture. Ses agendas indiquent un respect scrupuleux de son emploi du temps. Elle Ă©crivait dâune heure du matin jusquâen dĂ©but de matinĂ©e, dormait quatre Ă cinq heures, dĂ©jeunait, faisait sa correspondance, travaillait Ă lâextĂ©rieur, lisait avant de dĂźner avec les nombreux invitĂ©s et pensionnaires des lieux. Les soirĂ©es Ă©taient consacrĂ©es Ă la musique et au théùtre. Lâhoraire de Churchill paraĂźt faible et terne Ă cĂŽtĂ© de celui de Sand. Michelle Perrot nous invite Ă Nohant oĂč George Sand nous accueille chaleureusement dans sa maison dâartiste. On partage les goĂ»ts, les rĂȘves et les connaissances de la maĂźtresse des lieux. La biographie nous livre le quotidien dâune femme exceptionnelle, douĂ©e et gĂ©nĂ©reuse ainsi que le portrait dâune Ă©poque. LâĂ©criture est souple et entraĂźnante comme un bon roman. Une lecture motivante qui rejoint sĂ»rement les aspirations de nombreux lecteurs et lectrices. Pour voir des photos de la maison de George Sand, cliquez sur le lien ci-dessous. Maison de George Sand
GeorgeSand ouvre sa maison aux crĂ©ateurs, organisant la vie Ă Nohant en fonction de leurs besoins, crĂ©ant une atmosphĂšre de vie collective et cependant libre qui enrichit le travail de chacun. Le salon raisonne encore des discussions, lectures Ă voix haute et musique des artistes, hommes de lettres, hommes politiques, gens de théùtre qui sây sont rĂ©unis : Franz Liszt, Marie
SAND, George 1804-1876 Lettre autographe signĂ©e GSand » Ă Gustave Flaubert Paris, vendredi [31 aoĂ»t 1866 ajoutĂ© dâune autre main] 3 pages sur bifeuillet in-8 Ă ses initiales gaufrĂ©es, Ă lâencre noire. Habile rĂ©paration de deux petites dĂ©chirures sur deuxiĂšme feuillet, sans atteinte au texte Emouvante lettre de George Sand Ă Gustave Flaubert, Ă©crite le lendemain de sa premiĂšre visite Ă Croisset Embrassez dâabord pour moi votre bonne mĂšre et votre charmante niĂšce. Je suis vraiment touchĂ©e du bon accueil que jâai reçu dans votre milieu de chanoine ou un animal errant de mon espĂšce est une anomalie quâon pourrait trouver gĂȘnante. Au lieu de ça on mâa reçue comme si jâĂ©tais de la famille et jâai vu que ce grand savoir vivre venait du coeur. Ne mâoubliez pas auprĂšs des trĂšs aimables amies. Jâai Ă©tĂ© vraiment trĂšs heureuse chez vous. Et puis toi, tu es un brave et bon garçon, tout grand homme que tu es et je tâaime de tout mon cĆur. Jâai la tĂȘte pleine de Rouen, de monuments, de maisons briques. Tout cela vu avec vous me frappe doublement. Mais votre maison, votre jardin, votre citadelle, câest comme un rĂȘve et il me semble que jây suis encore. Jâai trouvĂ© Paris tout petit hier, en traversant les ponts. Jâai envie de repartir. Je ne vous ai pas vus assez, vous et votre cadre. Mails il faut courir aux enfants qui appellent et montrent les dents. Je vous embrasse et je vous bĂ©nis tous. G. Sand. Paris Vendredi. En rentrant chez moi hier jâai trouvĂ© Couture a qui jâai dit de votre part que mon portrait de lui Ă©tait selon vous le meilleur quâon eut fait. Il nâa pas Ă©tĂ© peu flattĂ©. Je vais chercher une trĂšs bonne Ă©preuve pour vous lâenvoyer. Jâai oubliĂ© de prendre trois feuilles du tulipier, il faut me les envoyer dans une lettre, câest pour quelque chose de cabalistique ». De retour dâun sĂ©jour chez Alexandre Dumas fils en Normandie Ă Saint-ValĂ©ry-en-Caux, George Sand arrive chez Flaubert le 28 aoĂ»t. Elle y reste deux jours avant de regagner Paris. Durant les quinze annĂ©es dâamitiĂ©, Sand et Flaubert sâĂ©crivent plus quâils ne se voient. Leur relation Ă©pistolaire est unanimement considĂ©rĂ©e comme lâune des plus belles du XIXe siĂšcle. Sand se rend trois fois seulement Ă Croisset. Flaubert, quant Ă lui, ne sĂ©journe que deux fois Ă Nohant. Lors de ce premier sĂ©jour Ă Croisset, George Sand ne cache pas son ravissement, ce que lâon peut voir dans la lettre du 29 aoĂ»t 1866 Ă sa fille Je me laisse ⊠entrainer Ă rester chez Flaubert. Il a une habitation charmante au bord de lâeau, une vieille maison bien rĂ©parĂ©e, confortable avec un ancien jardin de moines remis Ă neuf, Ă mi-cĂŽtĂ© dans les arbres et les murs, câest dĂ©licieux ⊠Ce pays est superbe. Jâai vu hier tous les monuments intĂ©ressants de Rouen, et puis les cloĂźtres, des charniers, des rues impossibles, tout un moyen-Ăąge encore debout⊠». Nous joignons une reproduction du cĂ©lĂšbre portrait de George Sand dessinĂ©e par Thomas Couture. Lubin, tome XX, n° 12815
Lettreautographe signĂ©e « ta tante » Ă lâĂ©pouse de son neveu Edmond Simonnet. Nohant, 23 janvier 1862 ; 2 pages in-8°. Avec son enveloppe. Sand est rassurĂ©e que le fils de son neveu ne soit pas corrompu par « lâesprit prĂȘtre » : « ChĂšre enfant, Je te renvoie la lettre de RenĂ© et je garde ses vers comme tu mây autorises.
Edmond Plauchut, On me croit mort, mais je vis ici » Lucien-Joseph-Edmond PLAUCHUT est nĂ© le 6 janvier 1824 Ă Saint Gaudens Haute Garonne. Sa correspondance avec George Sand dĂ©buta en 1848 qui lui rĂ©pondit par deux lettres. ExpatriĂ© volontaire Ă la suite de la chute de la RĂ©publique, il partit vers Singapour. Au cours du voyage, il fit naufrage au large des Ăźles du Cap-Vert et ne put sauver quâune cassette contenant les lettres de G. Sand grĂące auxquelles il fut recueilli, nourri, habillĂ© par un riche Portugais. AprĂšs de nombreux voyages vers lâExtrĂȘme-Orient, il rencontrera George Sand en 1861. InvitĂ© Ă Nohant en 1865, il fut trĂšs rapidement intĂ©grĂ© Ă la vie de la famille jusquâĂ sa mort en janvier 1909. Câest le seul Ă©tranger Ă la famille inhumĂ© dans le cimetiĂšre de la famille Sand. Extrait de la vie Ă Nohant... Le Carnaval 73 aÌ Nohant reÌveÌle un Plauchut veÌtu en Pifferaro, un Flaubert, inviteÌ de dernieÌre heure, enfilant une jupe et s'essayant au fandango. ApreÌs la lecture, le I4 avril, par ce dernier, de son Saint-Antoine, Plauchut selon l'agenda est eÌpateÌ, comme roueÌ de coups ». Le I6, Tourgueniev s'ajoute aÌ la bande. Dernier Carnaval en feÌvrier 76 Sand fait danser les masques, arborant elle-meÌme un grand nez aÌ moustache. Plauchut se deÌguise en turc, en saltimbanque puis en ...beÌbeÌ. La feÌte termineÌe, il enfile une blouse, met un faux-nez et va au bal du village faire son effet ». Ayant quitteÌ Nohant le I3 mars, il reçoit aÌ Paris le 11 avril une deÌlicieuse lettre de George - la dernieÌre, a-t-il noteÌ, que m'eÌcrivit George Sand » - Mon gros coco, viens donc au bercail puisque tu en as assez de Paris. Au lieu d'aller manger tes argents au bout du monde, viens voir fleurir nos lilas. Nohant est un tapis de fleurs ... Viens, et tout sera pour le mieux ». Câest, heÌlas, un teÌleÌgramme de Maurice qui rappelle Plauchut aÌ Nohant, en compagnie du Dr Favre. Il repart avec mission de ramener le Dr PeÌan, mais ce sera peine perdue. TreÌs admiratif de la romancieÌre, d'un deÌvouement aÌ toute eÌpreuve aÌ son eÌgard et envers les siens, mais aussi treÌs proche de l'entourage berrichon, Plauchut ne pouvait pas, perdant George, perdre tout ce qui tenait aÌ elle. La romancieÌre aura rarement lanceÌ aÌ d'autres favoris des appels aussi affectueux que ceux adresseÌs aÌ Plauchut dans les dernieÌres anneÌes La maison est comme veuve et vide quand tu n'es pas laÌ Â», on ne vit plus tout aÌ fait quand tu n'es pas laÌ Â». Les eÌtres et les murs avaient besoin de lui. La famille Sand et Nohant le gardeÌrent tout proche, pratiquement jusqu'en fin de vie. Signalons que s'il a pu contribuer, par sa deÌvotion aÌ Sand, sa manieÌre de commencer ses lettres par bonne meÌre », bonne maman », aÌ l'embaumer avant l'heure, le bon Plauchut » n'aimait pas tellement eÌtre consideÌreÌ lui-meÌme comme tel. En teÌmoigne une lettre ouÌ, un peu agaceÌ de s'entendre traiter par Flaubert de trop bon », il affirme aÌ Sand qu'il lui prend des envies, pour eÌchapper aÌ la suaviteÌ, de se faire deÌlibeÌreÌment canaille ». TreÌs aimeÌ, d'abord par George, puis par Lina et les fillettes grandissantes, il abandonnera plus tard deÌfinitivement le Bd des Italiens, emportant pour tout bagage ses pipes philippines vers sa » chambre de Nohant que Sand, peu de temps avant sa mort, avait fait rafraiÌchir. Tout en continuant d'eÌcrire des articles, il se consacrera, entre deux parties de chasse, aÌ la reÌdaction de ses souvenirs sur Nohant, qui paraiÌtront, sous le titre Autour de Nohant chez Calmann LeÌvy en I897. Maurice une fois disparu, le 4 septembre I889, il semble que Lina, sensible aux attentions deÌlicates de cet ami exceptionnel, ait refait sa vie aÌ ses coÌteÌs. Lorsqu'elle mourut, le 2 novembre 1901, il restait encore aÌ Plauchut plus de 7 ans aÌ vivre. OuÌ aurait-il pu abriter sa haute silhouette aÌ large feutre et barbichette blanche, sinon chez Gabrielle devenue proprieÌtaire du chaÌteau familial ? Il terminera pourtant ses jours aÌ Biarritz, dans une reÌsidence du Bd de la Grande Plage, le 30 Janvier 1909. Selon son vĆu, il est inhumeÌ preÌs de George Sand et des siens dans l'enclos funeÌraire ouÌ il a accompagneÌ plusieurs d'entre eux. On me croit mort, mais je vis ici », lit-on sur l'eÌpitaphe, imagineÌe par ce fideÌle entre les fideÌles, ce champion de lâamitieÌ. Texte Marie-Louise GUILLAUMIN, Les amis de George Sand. Livre de rĂ©fĂ©rence L'ami de George Sand en Berry, Edmond Plauchut le tartarin de Nohant, par Michelle Tricot & Christiane Sand, Ă©ditions Geste. Armand Silvestre Quel monde de souvenirs Ă©veille en moi ce seul nom ! C'est en 1866 que je vis George Sand pour la premiĂšre fois. Sans me connaĂźtre, elle avait Ă©crit, pour moi, la prĂ©face d'un livre de vers dont elle avait trouvĂ© et parcouru les Ă©preuves chez EugĂšne Fromentin. Le livre est Ă©puisĂ© depuis longtemps, mais la prĂ©face a Ă©tĂ© rĂ©imprimĂ©e dans la collection Calmann LĂ©vy et mĂ©ritait cette exhumation; car elle contient de superbes aperçus sur la poĂ©sie. TĂ©moin ces lignes merveilleuses Moi je dis que la lumiĂšre naĂźtra d'une sensation traduite par l'Ă©lan poĂ©tique. Une impression spontanĂ©e, chez un esprit supĂ©rieur, caractĂ©risera tout Ă coup l'homme nouveau. Sera-ce l'amour ou la mort qui parlera ? Peut-ĂȘtre l'un et l'autre. Peut-ĂȘtre que, dans l'extase du plaisir, excĂšs de vitalitĂ©, ou dans la voluptĂ© du dernier assoupissement, paroxysme de luciditĂ©, l'Ăąme se sentira complĂšte. Alors la vraie poĂ©sie chantera son hymne de triomphe. Les mots esprit et matiĂšre feront place Ă un mot nouveau... » Comme tout cela est Ă©loquemment dit et d'une belle envolĂ©e lyrique ! Fromentin Ă©tait alors grand ami de Mme Sand. Je ne sais plus tard ce qui avait interrompu leurs relations, mais je sais que Fromentin pleurait, en me racontant comment, aprĂšs trois ans passĂ©s sans la voir, elle lui avait ouvert les bras comme au fils prodigue, et l'avait appelĂ© son cher enfant ! Quand j'allai la remercier de ce bienfait inattendu, elle demeurait rue des Feuillantines, dans un petit appartement assez bas. Il Ă©tait cinq heures; le jour d'hiver tombait ; il faisait sombre. Mais le modeste salon oĂč elle me reçut me parut illuminĂ© par sa prĂ©sence. Il m'est restĂ© dans l'esprit, je dirais presque dans les yeux, avec l'intensitĂ© que prennent sous les yeux les objets quand l'esprit est tout Ă une Ă©motion. Une petite table en chĂȘne avec un tapis, une chaise haute, au mur une superbe esquisse de Delacroix, le maĂźtre de son fils. Je ne pus trouver un seul vocable, de reconnaissance. Mme Sand fut aussi quelque temps sans me parler, et le premier mot qu'elle prononça fut celui de timiditĂ©, â pour elle-mĂȘme ! Je crois bien que nous n'avons pas dit vingt paroles Ă nous deux ce jour-lĂ . Et cependant je sortis de la adopte, . me rĂ©fugiant sous le patronage d'un esprit plein de grandeur et de tendresse, sentant en moi je ne sais quoi de filial pour ce gĂ©nie clĂ©ment aux faibles, pour cet ĂȘtre si plein d'une bontĂ© pĂ©nĂ©trante, pour cette femme auguste dont l'Ăąge nimbait le front d'une aurĂ©ole d'argent. Elle ressemblait cependant .encore, dans ce temps-lĂ , au portrait dont j'ai parlĂ© plus haut. Ce qui m'avait frappĂ©, c'Ă©tait la fermetĂ© persistante de ses traits, malgrĂ© un certain embonpoint de visage. Ils donnaient l'impression de ces images de cuivre, oĂč les rides elles-mĂȘmes ont des vigueurs et des rigiditĂ©s. Rien d'affaissĂ© dans le dĂ©veloppement du menton, rien qui sentĂźt la vieillesse. Ses mains m'avaient surtout rempli d'admiration de vraies petites mains d'homme, effilĂ©es aux doigts, lĂ©gĂšrement charnues sur le dessus, et qui semblaient modelĂ©es dans un mĂ©tal pur et souple Ă la fois, des mains faites pour le travail et les loyales Ă©treintes... si petites avec cela! Je n'en ai jamais revu de pareilles. Quand elles laissaient tomber, dans un verre Ă moitiĂ© plein d'eau, une cigarette achevĂ©e, elles avaient, en se relevant, comme un essor de papillon blanc qui s'envole. Ce n'est que deux ans aprĂšs que j'allai Ă Nohant pour la premiĂšre fois. On partait de ChĂ teauroux dans une façon de diligence trois bĂȘtes efflanquĂ©es devant et un rustre au sommet, attachant ses guides au siĂšge pour pouvoir mieux fouailler des deuxbras. Une casserole derriĂšre une agonie de chevaux. Je ne dĂ©crirai pas le paysage. C'est celui que George Sand a donnĂ© pour dĂ©cor Ă ses plus admirables romans. A vrai dire, je ne l'aurais peut-ĂȘtre pas remarquĂ© beaucoup, s'il ne m'eĂ»t fait revivre sous le charme des descriptions amoureusement lues. Mais des idylles se dressaient pour moi tout le long de la route. Tout paysan Ă©tait unChampi, et toute mendiante une Fadette. J'Ă©tais hantĂ© par ce monde charmant qui vivra dans l'immortalitĂ© de ses rĂ©cits, comme celui des Ă©glogues de ThĂ©ocrite, le grand Syracusain. J'ai compris alors combien un grand poĂšte fait sienne la terre que foulent ses pas ! Assez uniforme, d'ailleurs, ce grand chemin,, bien que bordĂ© par des horizons d'un grand aspect, Rien n'y annonce l' approche de Nohant, qu' un bouquet de gros arbres dissimule. A peine descendu, pourtant, j'Ă©tais au seuil de la maison... du chĂąteau, comme on dit lĂ -bas. J'ai mieux Ă faire qu'Ă en dĂ©crire l'ordonnance intĂ©rieure, qui, bien que simple, ne manque pas d'une certaine grandeur aristocratique. De hautes et larges piĂšces dominant le parc de toute la hauteur d'un perron monumental. 0 chĂšre maison ! il me semble que, pour y avoir vĂ©cu si peu de temps, j'y ai laissĂ© le meilleur de moi-mĂȘme ! Mais que d'impressions j'en ai emportĂ©es en Ă©change ! C'est lĂ seulement, dans le milieu calme et plein d'affections saintes qu'elle avait choisi pour y vieillir, que George Sand Ă©tait elle-mĂȘme et tout entiĂšre. Ne se retirant que tard, pour travailler une partie de la nuit, elle donnait Ă ses hĂŽtes, avec quelques heures de la journĂ©e, toutes celles de la soirĂ©e. Pendant que ses mains tourmentaient les piĂšces d'un casse-tĂȘte chinois ou habillaient une marionnette, â car elles ne restaient jamais inoccupĂ©es, ces petites mains vaillantes ! â elle causait avec un laisser aller plein de charme et un abandon plein de condescendance. Son esprit, trop crĂ©ateur pour descendre Ă la critique, n'en formulait pas moins des jugements fort nets sur les contemporains. Je l'entendis un jour dĂ©fendre BĂ©ranger, comme poĂšte, avec une Ă©loquence pleine de finesse. Elle devina la premiĂšre, dans l'aĂźnĂ©e des filles de ThĂ©ophile Gautier, un Ă©crivain de race, hĂ©ritier du gĂ©nie paternel. Elle n'avait jamais cessĂ© de lire beaucoup, et concluait toujours quelque chose de ses lectures. Mais c'est dans les promenades du soir, en Ă©tĂ©, promenades Ă travers le parc, et qu'elle terminait Ă la premiĂšre tombĂ©e de la nuit, qu'elle Ă©tait vraiment admirable Ă entendre ! Elle y parlait volontiers des grandes choses de l'Ăąme et de la vie avec la simplicitĂ© d'un esprit absolument sincĂšre, confiant dans les destinĂ©es, n'Ă©prouvant, d'ailleurs, aucun besoin de solemnitĂ© pour sonder les mystĂšres de sa propre foi. Ah! que j'ai souvent maudit l'insecte dont le vol interrompait quelqu'un de ses aperçus magnifiques sur l'avenir, en rĂ©veillant ses appĂ©tits chasseurs de naturaliste! Il s'en est peut-ĂȘtre fallu d'un simple phalĂšne venu Ă la traverse qu'elle m'ait converti Ă son dĂ©isme tranquillisant et Ă son spiritualisme consolateur ! DĂ©isme d'artiste, car son plus grand argument Ă©tait la beautĂ© de la nature! Spiritualisme de privilĂ©giĂ©e, qui sentait ses admirables facultĂ©s s'aviver encore aux Ă©treintes de la vieillesse. J'attendais impatiemment l'inauguration de la statue de Millet sur la grande place de La ChĂątre. Car c'Ă©tait encore pour moi une grande curiositĂ© de savoir comment il avait compris George Sand. Non que je me dĂ©fiasse un seul instant d'un talent Ă©prouvĂ© comme le sien ; mais je ne sais pas de tachĂ© plus complexe que celle qu'il avait entreprise. Comment enfermer dans un bloc inerte le mouvement d'un des esprits le plus admirablement actifs de ce temps ? Comment faire rayonner au faĂźte d'un marbre la lumiĂšre dont vivait ce clair et brillant gĂ©nie ? Comment Ă©chauffer la pierre des feux de cette Ăąme ? Il y avait lĂ de quoi troubler les plus hardis. Croiriez-vous qu'Ă l'Ă©poque oĂč, sous la prĂ©sidence de Victor Hugo, une Commission s'institua solennellement pour Ă©riger un monument Ă George Sand, dans Paris mĂȘme, un des plus cĂ©lĂšbres parmi les sculpteurs de notre jeune Ă©cole me dit fort gravement qu'il ne la concevait pas autrement que sous les traits d'une amazone ! Il y eut plusieurs George Sand, en effet, sans compter celle-lĂ , que nous laisserons Ă la fantaisie des admirateurs Ă venir, et qui ne sera peut-ĂȘtre pas la moins vraie. Il y eut la jeune femme qui, d'un grand essor littĂ©raire, surgit Ă©blouissante de beautĂ©, de vigueur et de poĂ©sie, enivrĂ©e de nature et jetant aux Ă©chos les accents les plus passionnĂ©s qu'oreille humaine ait jamais entendus ; il y eut la femme plus recueillie dĂ©jĂ , que les souffrances du siĂšcle avaient touchĂ©e au cĆur, dont les rĂȘves gĂ©nĂ©reux avaient couronnĂ© le front et dont Thomas Couture a laissĂ© un magnifique portrait aux deux crayons â il y eut enfin la femme vieillie qui sut entourer la fin de sa vie d'une souveraine dignitĂ©, l'aĂŻeule sainte qui, des tendresses du foyer, fit Ă ses derniers ans une aurĂ©ole, l'ouvriĂšre obstinĂ©e d'une tĂąche de dĂ©vouement. C'est celle-lĂ que je prĂ©fĂšre Ă toutes, sans doute parce que c'est celle-lĂ que j'ai connue et aimĂ©e!Armand amis... Des manifestations furent prĂ©vues les 9, 10 et 11 aoĂ»t 1884, sous la prĂ©sidence de Ferdinand de Lesseps. De nombreuses personnalitĂ©s Ă©taient prĂ©sentes, pour beaucoup hommes politiques et Ă©rudits locaux. Quelques personnalitĂ©s parisiennes se dĂ©placĂšrent, la plupart anciens amis de George Sand Armand Sylvestre, Charles Buloz, Calmann-LĂ©vy et Paul Meurice. La famille de la romanciĂšre fut reprĂ©sentĂ©e par son fils Maurice Sand. AprĂšs un hommage Ă©crit par Victor Hugo, suivirent les discours officiels des organisateurs. Dans chacune des allocutions, George Sand est un âbienâ berrichon. Ainsi, le maire de La ChĂątre Mais si sa gloire rayonne au loin, nous ne saurions oublier qu'elle nous appartient plus intimement et que George Sand, par ses ravissantes peintures, fait connaĂźtre Ă tous notre Berry et les bords de la Creuse. » Le repli identitaire local fut accentuĂ© en raison du peu d'Ă©cho rencontrĂ© par les manifestations berrichonnes, la plupart des personnalitĂ©s politiques et littĂ©raires d'envergure nationale ne sâĂ©tant pas dĂ©placĂ©es. La foule des anonymes berrichons avait palliĂ© ces absences. Si de nombreuses festivitĂ©s suivirent l'inauguration de la statue, la plupart, sans rapport avec George Sand, Ă©taient simplement populaires et ludiques retraite aux flambeaux, fĂȘtes de gymnastique, banquet de 280 convives, feu d'artifice, concours musical rĂ©unissant les orphĂ©ons et les fanfares de la rĂ©gion. Les amis de George Sand.Maurice Rollinat George Sand connaissait trĂšs bien le pĂšre de Maurice Rollinat, François 1806-1867. Dans Lâhistoire de ma vie, elle dit de lui "Homme dâimagination et de sentiment, lui aussi artiste comme son pĂšre, mais philosophe plus sĂ©rieux." George Sand a apprĂ©ciĂ© et conseillĂ© Maurice Rollinat lorsque celui-ci lui montrait ses Ă©crits, lui demandait conseil comme des extraits de cette lettre de George Sand Ă jeune ami du 18 avril 1872 Ă La ChĂątre et servant de prĂ©face au livre PoĂ©sie pour les enfants de Maurice Rollinat en tĂ©moignent "Eh bien, mon enfant, voici ce que je ferais si jâĂ©tais poĂšte ... un recueil de vers pour les enfants de six Ă douze ans ... Le poĂšte doit rĂ©vĂ©ler aux enfants ce quâon oublie toujours de leur rĂ©vĂ©ler la nature ... Essaie et si tu rĂ©ussis, tu auras fait une grande chose ; cela ne doit pas ĂȘtre bĂąclĂ© vite, mais mĂ»ri et gestĂ© sĂ©rieusement. Et avant tout, comme on vit de pain et que les vers nâen donnent pas, il faut toujours avoir un emploi quelconque et ne pas le nĂ©gliger ... Sur ce, fais ce que tu voudras de mon conseil, je le crois bon, voilĂ pourquoi je te lâoffre en tâembrassant." George SAND ne partageait pas le pessimisme philosophique de Maurice Rollianat. Elle essayait dâorienter le jeune poĂšte vers dâautres formes dâinspiration mais son besoin de vĂ©ritĂ© et de sincĂ©ritĂ© le dĂ©tournait de lâattitude idĂ©aliste proposĂ©e par George Sand "Il faut ouvrir les yeux tout grands et voir le beau, le joli, le mĂ©diocre comme tu vois le laid, le triste et le bizarre. Il faut tout voir et tout sentir." Au dĂ©cĂšs de George Sand, en 1876, Maurice ROLLINAT perdit un de ses soutiens les plus efficaces et les plus dĂ©sintĂ©ressĂ©s. Lâinfluence de George Sand sâest exercĂ©e Ă un moment oĂč Maurice Rollinat avait Ă©bauchĂ© deux livres dont Les NĂ©vroses et elle est prĂ©sente dans ses poĂšmes sur la nature. Les amis de Maurice Rollinat.
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GEORGE SAND LETTRES Ă PONCY I LA LITTĂRATURE PROLĂTAIRE. â VERS LA RĂVOLUTION 1842-1848 George Sand vient dâĂȘtre de nouveau rappelĂ©e Ă lâattention du grand public. Dix semaines consĂ©cutives, un confĂ©rencier de talent, Ă la parole aussi spirituelle quâindĂ©pendante, a entretenu de George Sand un auditoire nombreux, chaleureux, qui ne se lassait pas de lâĂ©couter[1]. Presque en mĂȘme temps, en Belgique, une femme distinguĂ©e, versĂ©e depuis longtemps dans ce grand sujet, lâabordait, â moins amplement il est vrai, â devant le grand public, avec un succĂšs complet[2]. Dâautres Ă©tudes se prĂ©parent, nous le savons, qui Ă©tendront aux idĂ©es » de George Sand lâattention quâil Ă©tait jusquâici convenu de nâaccorder quâĂ la femme ou Ă la romanciĂšre. Tant il est vrai que George Sand nâest pas, comme on lâa trop rĂ©pĂ©tĂ©, un sujet Ă©puisĂ©. Ce nâest mĂȘme pas un paradoxe de prĂ©tendre quâĂ peine commence-t-on Ă lâĂ©tudier comme il mĂ©rite de lâĂȘtre, dans lâampleur de sa multiple harmonie, et dans la bienfaisance de sa gĂ©nĂ©rositĂ© fonciĂšre. Celle quâon a parfois justement appelĂ©e la bonne socialiste » a rĂ©coltĂ© jusquâici, pour ses utopies soi-disant dangereuses, surtout des injures ou des dĂ©dains. Nul doute quâune Ă©tude attentive et impartiale ne lui fasse sur ce point capital la juste part qui lui revient dans lâĂ©volution gĂ©nĂ©rale des sentimens et des idĂ©es au cours du dernier siĂšcle. Nul doute aussi que, â en attendant la suite du grand ouvrage de Vladimir KarĂ©nine, â George Sand nâapparaisse de plus en plus, Ă des yeux non prĂ©venus, non point comme un reflet de certains hommes de son temps, mais comme un des foyers de son temps ; non pas comme un Ă©cho, mais comme une voix, une des grandes voix du XIXe siĂšcle. La puissance de son appel, la rĂ©percussion profonde de son cri sont choses qui nous saisissent aujourdâhui dâĂ©tonnement, et quâil serait vain dâexpliquer par une vogue passagĂšre câest bien, Ă certaines heures, une conscience quâelle a donnĂ©e Ă lâinconscient, une Ăąme Ă lâobscur instinct des foules, une Ă©toile Ă la marche tĂątonnante du peuple en quĂȘte non plus de pain et de travail seulement, mais de foi sociale, de bonheur et dâidĂ©ale fraternitĂ©. Cette vertu cachĂ©e de puissance continue, cette force dâ Ă©lĂ©ment, » mais dâun Ă©lĂ©ment qui serait humain, on la trouve et on la capte en quelque sorte Ă sa source dans lâinĂ©puisable correspondance de George Sand. LĂ elle sâest versĂ©e encore plus complĂštement que dans ses Ćuvres, quoique partout elle se soit versĂ©e, » et que sâĂ©pancher fĂ»t en quelque sorte sa fonction naturelle. On en peut juger par ce qui a paru jusquâici de ses lettres, soit dans les six volumes publiĂ©s par son fils, soit par quelques correspondances particuliĂšres, telles que celle avec Flaubert. Encore ce qui a paru est-il peu de chose auprĂšs de ce qui reste Ă paraĂźtre. Nous avons pu naguĂšre, nous-mĂȘme, Ă lâoccasion dâune des correspondances inĂ©dites qui sont entre nos mains, faire la preuve, jusque dans sa famille, de cette constante sĂ»retĂ© de sa direction morale, de la bontĂ© tonique de son perpĂ©tuel conseil[3]. Et il sâagissait lĂ dâune fille aussi dissemblable que possible de la mĂšre, et des conjonctures les plus dĂ©licates, oĂč la mĂšre la plus prĂ©voyante, la plus expĂ©rimentĂ©e, peut elle-mĂȘme, en dĂ©pit du gĂ©nie, se trouver en dĂ©faut. Mais George Sand Ă©tait cĆur encore plus que gĂ©nie. Et câest ce cĆur, dans ses lettres, qui guide sa plume, plus sĂ»rement encore que son bon sens et sa raison, qui sont souvent eux-mĂȘmes admirables. A cette preuve plusieurs autres pourraient sâajouter, qui sans doute se produiront Ă leur heure. Ce que lâon connaĂźt jusquâici seulement par Ă©chantillon apparaĂźtra bien plus riche et plus beau, lorsquâon pourra manier lâĂ©toffe Ă pleines mains. Et ni la correspondance avec Dumas fils, ni celle avec Rollinat pĂšre, ni celle avec Fromentin, ne dĂ©mentiront sans doute ce que lâon peut attendre dâamitiĂ©s aussi grandes, aussi consacrĂ©es. MĂȘme dans le cercle de la famille moins immĂ©diate, de la demi-famille, si lâon peut sâexprimer ainsi, plus dâune dĂ©couverte intĂ©ressante demeure Ă faire. Mais, pour nous borner Ă un exemple sans doute moins attendu, câest peut-ĂȘtre dans sa correspondance avec un ouvrier, quâelle ne connaissait pas lorsquâelle lui Ă©crivit la premiĂšre, que George Sand a prodiguĂ© bĂ©nĂ©volement, avec une plĂ©nitude quâelle nâa nulle part Ă©galĂ©e, les plus admirables trĂ©sors de son Ăąme maternelle et de sa plume fervente. En cet inconnu Ă qui elle prĂȘtait du gĂ©nie, elle saluait lâascension du peuple vers la littĂ©rature et lâart. Si elle se fit quelque illusion sur ce point, â et peu importe quant au fond des choses, â elle ne se trompait point en tirant de la foule ce cĆur digne du sien, et en lâĂ©levant au privilĂšge dâune intimitĂ© qui fut toujours aussi noble que complĂšte. Et tout cela forme un chapitre trĂšs attachant, ignorĂ© Ă peu prĂšs, de la vie de George Sand ; et cet Ă©pisode lui-mĂȘme, par sa signification, a une valeur dâhistoire quâil ne faut certes pas surfaire, mais quâon aurait tort de diminuer. A cĂŽtĂ© de lâhomme, objet de cette correspondance, ou plutĂŽt en lui et Ă travers lui, il y avait une question. Lâhomme, lui, sâappelait Charles Poncy, Ă©tait ouvrier maçon, et habitait Toulon. La question se dĂ©signait, alors, sous ce nom la littĂ©rature prolĂ©taire. » Peut-il y avoir une littĂ©rature des ouvriers ? et les ouvriers sont-ils capables Ă la rigueur de la faire par eux-mĂȘmes ? Sur le premier point, les esprits libĂ©raux, au lendemain de 1830, rĂ©pondaient nettement Oui. Et sur le second, George Sand la premiĂšre, et Ă peu prĂšs la seule, rĂ©pondit Pourquoi pas ? Tout ce dĂ©bat, consĂ©quence logique dâune premiĂšre rĂ©volution accomplie par le peuple et dont le peuple aurait dĂ» dâabord bĂ©nĂ©ficier, se rattache Ă lâidĂ©e que les conducteurs dâĂąmes se faisaient alors du peuple, Ă la question de lâinstruction populaire qui passionnait alors les esprits loi Guizot, 1833, enfin Ă la politique elle-mĂȘme sous le couvert de lâĂ©galitĂ©. Tandis que la premiĂšre loi primaire renversait la plus haute barriĂšre des classes en retirant Ă lâinstruction son caractĂšre de privilĂšge, les publicistes rĂ©pandaient Ă pleines mains la semence dans les sillons frais, en appelant la masse qui sait lire Ă la connaissance des questions sociales, avant de lâappeler Ă leur discussion. CâĂ©tait le mouvement inaugurĂ© par la Convention, qui reprenait sous la monarchie de Juillet. Et ni lâEncyclopĂ©die Ă deux sous, de Leroux et Reynaud, ne faisait sourire personne, ni le Livre du Peuple, de Lamennais, ne soulevait lui-mĂȘme les mĂ©pris et les colĂšres que le parti conservateur exhalera plus tard. Lerminier, il est vrai, esquissera dĂšs lors 1838 une Ă©volution semi-bourgeoise qui sera celle de la Revue mĂȘme dont il est le porte-parole, et, de ce fait, il sâattirera une rĂ©plique de George Sand[4]. Mais ces escarmouches, courtoises dans les formes, vives dans le fond, nâen acheminent pas moins la question en la faisant passer du terrain politique au terrain intellectuel, et en donnant Ă la discussion sur lâĂ©galitĂ© sociale, sinon lâĂ©galitĂ© littĂ©raire, du moins lâavĂšnement littĂ©raire pour couronnement. Si lâouvrier, inculte, ne peut rien produire dans le domaine de la pensĂ©e et de lâart, ne pourra-t-il produire dĂšs quâil sera cultivĂ©, mĂȘme sommairement cultivĂ© ? La lourde terre vierge du cerveau populaire, dĂšs le premier labour, ne projettera-t-elle pas Ă la lumiĂšre des moissons inattendues ? Le grain en pourra ĂȘtre Ăąpre et sauvage, la pĂąte inĂ©gale et amĂšre. Mais cette saveur, cette rudesse, ne seront-elles pas un bienfait ? Ne manque-t-il pas Ă la littĂ©rature artistique des purs intellectuels cette sĂšve naturelle et cette simplicitĂ© sans lesquelles lâĆuvre populaire nâexiste pas ? Peut-on dire que nos plus beaux ouvrages littĂ©raires, soit classiques, soit surtout romantiques et lâon est encore en plein romantisme, aient une vĂ©ritable popularitĂ© en France, et touchent le cĆur de la foule ? Ainsi les chefs-dâĆuvre sont le produit dâune Ă©lite, ne sâadressent quâĂ une Ă©lite. Ils peuvent mĂȘme avoir plus dâaction Ă lâĂ©tranger que dans leur pays dâorigine. Nây a-t-il lĂ aucun paradoxe ? Nâest-ce mĂȘme point pour la France, si glorieuse de ses Ćuvres europĂ©ennes, » une infĂ©rioritĂ© notoire, et un danger intellectuel capital ? Eh quoi ! Schiller et GĆthe sont non seulement nationaux, mais populaires » en Allemagne ; et un ouvrier, Hans Sachs, put y ĂȘtre Ă la fois populaire et classique. Un Racine, un Lamartine, sont-ils chez nous populaires ? » ĂĂ et lĂ , tel classique ou tel moderne peut sâadresser Ă tous, ĂȘtre compris de tous, sans que lâart y perde rien. Mais câest lâexception. En France, Ă dire le vrai, il nây a pas de littĂ©rature pour le peuple. Les grands Ă©crivains, en gĂ©nĂ©ral, ne le connaissent pas, ne sâadressent pas Ă lui. Il a pourtant, ce peuple, ses joies et ses peines, ses travaux, ses passions, ses instincts confus dâart et de poĂ©sie. Il sent, et mĂȘme il pense, et surtout il veut. Pourquoi ne parlerait-il pas lui-mĂȘme ? Pourquoi ne sâexprimerait-il pas dans son langage ? Ce langage lui-mĂȘme, incertain ou impropre au dĂ©but, sera bientĂŽt viril, fort, et neuf. Car il dira toujours quelque chose, et lâart pour lâart lui sera inconnu. Et il parlera de ce quâil connaĂźt bien. Qui peindra mieux lâhomme du peuple que lui-mĂȘme ? Et qui sait si, de cette nĂ©o-littĂ©rature, comme du nĂ©o-christianisme annoncĂ© par Lamennais, ne naĂźtra point la rĂ©vĂ©lation propre Ă remettre dans la grande voie de la nature ici lâart, lĂ la religion ? Ainsi sâenchaĂźnent les questions aux questions. Et George Sand, conquise dĂ©jĂ Ă la palingĂ©nĂ©sie sociale, ajoute la foi littĂ©raire Ă la foi politique, espĂ©rant toujours voir luire sur la nuit de la foule lâaube de la littĂ©rature nouvelle. Au moment prĂ©cis oĂč le premier Ă©chauffement de lâinstruction populaire va provoquer quelque Ă©closion de poĂ©sie, elle Ă©crit dans la prĂ©face du Compagnon du Tour de France, â de ce roman qui devait lui fermer pour de longues annĂ©es la Revue oĂč son talent avait pris un si magnifique essor, â ces lignes sous la date de 1840 Il y aurait toute une littĂ©rature nouvelle Ă crĂ©er avec les vĂ©ritables mĆurs populaires, si peu connues des autres classes. Cette littĂ©rature commence au sein mĂȘme du peuple ; elle en sortira brillante avant quâil soit peu de temps. Câest lĂ que se retrempera la muse romantique, muse Ă©minemment rĂ©volutionnaire, et qui, depuis son apparition dans les lettres, cherche sa voie et sa famille. Câest dans la race forte quâelle trouvera la jeunesse intellectuelle dont elle a besoin pour prendre sa volĂ©e. » CâĂ©tait lĂ une affirmation intrĂ©pide. NĂ©anmoins, les faits parurent, dans une certaine mesure, ne pas trop dĂ©mentir une prophĂ©tie Ă ce point optimiste. Justement, lâapparition des PoĂ©sies de Magu, le tisserand de Lizy-sur-Ourcq, venait dâattirer lâattention 1839. Ce nâĂ©tait point le premier poĂšte ouvrier, puisque Reboul de NĂźmes, Jasmin dâAgen, et dâautres, Ă©taient dĂ©jĂ connus. Mais sa publication tombait trop Ă point pour ne pas exalter la discussion. Le livre de Magu en prit une importance qui lâeffara lui-mĂȘme, et sa personne inspira une Ă©norme curiositĂ©. BĂ©ranger recevait le poĂšte ; George Sand accourait le fĂ©liciter ; David dâAngers se dĂ©plaçait pour briguer lâhonneur de faire son mĂ©daillon ; cadeaux et souscriptions pleuvaient dans sa chaumiĂšre ; 2 000 volumes Ă 4 francs sâenlevaient en quelques semaines câĂ©tait la gloire, et presque la fortune. AussitĂŽt Olinde Rodrigues, secondant lâeffort de Buchez Ă lâAtelier et de Vinçard Ă la Ruche populaire, publiait, en 1841, un recueil des poĂ©sies Ă©parses des poĂštes-travailleurs, sous le titre un peu prĂ©tentieux, mais juste au fond, » dira George Sand, de PoĂ©sies sociales des ouvriers. Parmi les noms nouveaux que rĂ©vĂ©lait ce recueil, se trouvait celui du cordonnier Savinien Lapointe. Mais dĂ©jĂ ils sont trop, et notre dessein nâest pas ici de les nombrer. Ces poĂ©sies furent Ă©pluchĂ©es, et ne pouvaient manquer de lâĂȘtre par ceux que la manifestation soudaine du gĂ©nie poĂ©tique dans le prolĂ©tariat laissait incrĂ©dules. Ni Cuvillier-Fleury aux DĂ©bats, ni Lerminier Ă la Revue des Deux Mondes, ne parurent convaincus. Ce dernier donnait quelques bonnes raisons. Il lui paraissait, et Ă bon droit, que ce qui manquait le plus Ă ces poĂ©sies dâouvriers, ce fĂ»t le cachet de lâoriginalitĂ© populaire. » Il croyait ces cris de victoire, ces chants de triomphe anticipes. Il ne pensait pas que lâaxe de la civilisation intellectuelle pĂ»t se dĂ©placer aussi facilement. Il disait, non sans mordant Aujourdâhui on se fait Ă©crivain avec une facilitĂ© admirable. » Et, voyant Chateaubriand, BĂ©ranger, Lamartine, Lamennais, renchĂ©rir dâĂ©loges et dâencouragemens, il s apitoyait sur lâouvrier, quâil voyait dĂ©jĂ tomber de son trĂ©pied de gloire mal assise. » CâĂ©taient lĂ de sages paroles. Pourtant, il est juste de dire que les coryphĂ©es si illustres et si gĂ©nĂ©reux de la littĂ©rature prolĂ©taire fĂȘtaient une espĂ©rance beaucoup plus quâun rĂ©sultat. Et ce quâil y eut de naĂŻf et de persĂ©vĂ©rant dans cette espĂ©rance qui, aidĂ©e des Ă©vĂ©nemens publics, eĂ»t sans doute abouti Ă des rĂ©sultats apprĂ©ciables, est prĂ©cisĂ©ment ce qui les honore. Tout nâĂ©tait pas illusion dans ce rĂȘve, et le rĂȘve lui-mĂȘme avait un point dâappui dans la rĂ©alitĂ©. En provoquant lâartiste populaire, on forçait le peuple Ă lâinstruction. Et, si lâon peut ainsi dire, en attendant, le moyen passait le but. Aussi George Sand, avec son dĂ©vouement inlassable, creusait-elle sans discontinuer son sillon, non plus dans la Revue des Deux Mondes, mais dans cette Revue IndĂ©pendante. TantĂŽt, sous le pseudonyme de Gustave Bonnin, elle y Ă©crit Sur les poĂštes populaires ; et tantĂŽt, sous son nom, un premier et un second Dialogue familier sur la poĂ©sie des prolĂ©taires[5]. On dirait quâinsensible aux railleries elle guette Ă lâhorizon, comme une vigie, lâapparition dâun enfant du peuple qui porte au front le sceau du gĂ©nie. Elle attend mieux que Magu et Savinien Lapointe. Elle nâespĂšre pas seulement, elle est sĂ»re. Or, en cette mĂȘme annĂ©e 1842, paraĂźt un volume de vers intitulĂ© simplement Marines, signĂ© dâun nom inconnu Charles Poncy. Elle le lit avidement. La prĂ©face, signĂ©e dâOrtolan, dit que lâauteur est trĂšs jeune, pauvre, ouvrier ; il habite Toulon. Câest lui ! Son cĆur bondit, sa plume vole. Et, dâinspiration, elle lance Ă lâinconnu la premiĂšre lettre dâune correspondance qui devait durer trente-quatre ans, et ne sâarrĂȘter que deux mois avant sa mort[6]. â Mon enfant, lui Ă©crit-elle, vous ĂȘtes un grand poĂšte, le plus inspirĂ© et le mieux douĂ© parmi tous les beaux poĂštes prolĂ©taires que nous avons vus surgir avec joie dans ces derniers temps. Vous pouvez ĂȘtre le plus grand poĂšte de la France un jour, si la vanitĂ©, qui tue tous nos poĂštes bourgeois, nâapproche pas de votre noble cĆur, si vous gardez ce prĂ©cieux trĂ©sor dâamour, de fiertĂ© et de bontĂ© qui vous donne le gĂ©nie. On sâefforcera de vous corrompre, nâen doutez pas ; on vous fera des prĂ©sens justement, le ministre Villemain venait de lui envoyer un choix de livres, et le geste ne laissait pas dâavoir son Ă©lĂ©gance ; on voudra vous pensionner, vous dĂ©corer peut-ĂȘtre !⊠Prenez donc garde, noble enfant du peuple ! Vous avez une mission plus grande peut-ĂȘtre que vous ne croyez[7] !⊠» Tel est le thĂšme. Cette lettre lyrique, qui tient de lâhymne et de la thĂšse, et qui risquait dâĂȘtre plus corruptrice » pour un jeune homme que la bibliothĂšque offerte par Villemain, sâexplique par le diapason auquel les Ăąmes Ă©taient alors montĂ©es. Et puis, elle sâadressait Ă un homme du Midi, Ă un poĂšte. Les risques Ă©taient moindres. Le jeune Toulonnais semble avoir compris que ces Ă©loges enthousiastes sâadressaient moins Ă sa personne quâĂ lâidĂ©e que George Sand incarnait en lui, Ă cet homme de douleur quâĂ©tait le peuple pris en soi, Ă cette sorte de Christ collectif quâil sentait en lui-mĂȘme, ce qui lâavait fait sâĂ©crier, dans un trĂšs beau vers Pourquoi me brĂ»les-tu⊠ma couronne dâĂ©pines ?Et dĂšs lors le dialogue sâengagea entre lâĂ©crivain de gĂ©nie et lâouvrier maçon. Mais un beau vers ne fait pas un beau volume, pas plus quâune hirondelle ne fait le printemps. Y avait-il dans les Marines de quoi autoriser de grandes espĂ©rances, sinon justifier le dithyrambe dont les avait saluĂ©es George Sand ? Oublions les Ă©loges dont il fut alors Ă©crasĂ© ; et reconnaissons un certain souffle chez ce jeune homme qui, nâayant pas vingt et un ans, Ă©crivait des strophes comme celles-ci au retour du chantier A un vaisseau de cent-vingt en dĂ©molition Colosse, Ă ton aspect jâai vu pleurer mon pĂšre. Dans ton sein sâĂ©coula sa jeunesse prospĂšre, FĂ©conde en beaux Ă©lans ; Il aime Ă me conter que souvent, pauvre mousse, Sur un fragile pont il a grattĂ© la mousse AttachĂ©e Ă tes flancs. BientĂŽt de ce vaisseau, qui fouilla les entrailles Des plus lointaines mers, du gĂ©ant des batailles Il ne restera rien, Rien quâun nom admirĂ© dans nos gloires navales, Un nom quâĂ lâavenir lĂ©gueront nos annales, Et ce nom, câest le tien ! Tout nâĂ©tait donc pas illusion dans la louange excessive adressĂ©e au dĂ©butant par George Sand. Dâailleurs, le premier hommage, câest elle qui lâavait reçu. Une piĂšce lui Ă©tait dĂ©diĂ©e dans les Marines, oĂč Poncy lâappelait sa sainte patronne, » et la mĂšre de son cĆur. » Comment ne lui eĂ»t-elle pas rĂ©pondu Mon enfant ! » Si le poĂšte Ă©tait dĂ©jĂ intĂ©ressant, lâhomme lâĂ©tait encore davantage. Le secret instinct de George Sand, en ceci, ne lâavait pas trompĂ©e. Fils dâun maçon entrepreneur, enfant du chantier, Poncy, Ă neuf ans, Ă©tait manĆuvre et servait les ouvriers. Vers la premiĂšre communion, il avait suivi quelque temps lâĂ©cole mutuelle, celle des FrĂšres, enfin lâĂ©cole communale supĂ©rieure. Et câest tout. Je me trompe. MĂȘme revenu au plĂątre, le goĂ»t de lâĂ©tude lâavait suivi. Il Ă©tait liseur ; il dĂ©vorait. Il a contĂ© lui-mĂȘme, en gentils vers, quâil dĂ©valisait les bouquinistes du quai. Ses Ă©conomies dâapprenti passaient au Magasin pittoresque. Il sâenchantait de poĂ©sie ; il griffonnait des vers. Le mĂ©decin de la famille, Ortolan, en dĂ©couvrit sur la table en cherchant du papier pour faire une ordonnance il questionna le jeune homme, lâencouragea, lâaida Ă se faire imprimer. Poncy, qui devait plus tard sâachalander, sâenrichir, devenir fonctionnaire de la Chambre de Commerce et laisser une belle fortune, Ă©tait alors un adolescent pauvre, ardent et ingĂ©nu couturĂ© de petite vĂ©role au point dâen ĂȘtre presque dĂ©figurĂ©, il attirait par ses yeux intelligens et chauds. Il aimait une belle jeune fille de son rang, qui lui rendait sa tendresse, et quâil Ă©pousa aprĂšs le succĂšs Ă©clatant du livre oĂč il lâavait chantĂ©e Ă eux deux, en 1843, ils avaient quarante ans. Elle rĂ©pondait au nom de DĂ©sirĂ©e, un nom de roman ; et tout paraissait romanesque dans cette aventure, et rien nây manquait de ce qui pouvait ravir une George Sand, la fougueuse dĂ©mocrate, lâadmiratrice de Lamennais, lâ Ă©lĂšve, » comme elle se disait alors, de Pierre Leroux. Aussi avait-elle assumĂ©, et de quel Ă©lan ! la charge morale de lâouvrier poĂšte. Ce talent naissant, elle voulait lâamplifier et lâaffermir ; ce caractĂšre aimable, le viriliser ; cet esprit curieux, le meubler, lâouvrir, le fĂ©conder ; ce goĂ»t parfois douteux, lâĂ©purer. Surtout, il fallait mettre cette Ăąme fragile en garde contre les sĂ©ductions de la flatterie et lui rĂ©pĂ©ter sans cesse excelsior, en lui montrant le but, Ă savoir lâhomme du peuple idĂ©al. Grande tĂąche, Ă laquelle elle se dĂ©voue avec son Ă©nergie coutumiĂšre, secondĂ©e dâailleurs par la nature trĂšs rĂ©ceptive de Poncy Mon cher Poncy[8], il faut plaindre profondĂ©ment et non pas condamner ceux qui ne voient pas cette lueur cĂ©leste pointer Ă lâhorizon de lâhumanitĂ©. Voyez comme ils sont malheureux, ces hommes dont plusieurs ont de la droiture et de la bontĂ© dans leur aveuglement, de ne pas apercevoir dans un avenir prochain lâissue providentielle de lâabominable sociĂ©tĂ© oĂč nous languissons. Quelle souffrance pour les cĆurs honnĂȘtes, de voir rĂ©gner dans toutes les institutions, dans les prĂ©jugĂ©s, dans les actes lĂ©gislatifs, le mensonge, lâĂ©goĂŻsme et lâimpudence ! Le monde livrĂ© aux pĂ©dans, aux viveurs et aux sabreurs !⊠⊠Vous aurez lu sans doute lâarticle que Pierre Leroux a fait sur vous dans le numĂ©ro de ce mois. Il nâest pas assez louangeur, Ă votre grĂ©, mâa-t-il dit. Mais la louange gĂąte les hommes, et la plus tendre, la plus ardente des louanges, la plus mĂ©ritĂ©e des couronnes pour les nobles cĆurs et les vraies intelligences, câest un bon conseil. Il a raison aprĂšs tout, et vous le sentez dĂ©jĂ , sans que je vous le dise. Continuez, mon noble enfant, et restez peuple. Jâentends cela comme mon ami et mon maĂźtre Pierre Leroux peu importe que vous gardiez la truelle et la pipe. Si elles vous inspirent toujours, gardez-les toujours. Si un autre milieu, si dâautres occupations deviennent nĂ©cessaires Ă votre dĂ©veloppement, ne vous laissez pas effrayer par ceux qui vous diront que votre devoir est la souffrance et la fatigue du corps. Votre seul, votre vĂ©ritable devoir est de rester prolĂ©taire dans votre cĆur, dans votre inspiration et dans vos entrailles, que vous soyez maçon ou toute autre chose dans la sociĂ©tĂ© des hommes⊠Travaillez, faites encore mieux que le dernier volume. Il le faut. Je serai trĂšs sĂ©vĂšre avec vous, parce quâun dĂ©but comme le vĂŽtre impose lâobligation dâun grand progrĂšs. Si vous voulez mâenvoyer quelques piĂšces, je les analyserai attentivement, et vous Ă©crirai tout ce que jâen pense, avec la plus grande sincĂ©ritĂ© et la plus grande sollicitude. A vous de cĆur, mon cher Poncy. A Dieu ! » 14 mai 1842. SincĂ©ritĂ©, sollicitude, câest bien le caractĂšre que revĂȘtent les lettres suivantes de George Sand. Il y avait Ă dĂ©fendre Poncy de tant de dĂ©fauts ! Maintenant quâelle lâexaminait avec les yeux clairvoyans de lâamie, George Sand sâattachait Ă sĂ©parer lâivraie du bon grain. TĂąche difficile, oĂč elle apporta toujours une main ferme et dĂ©licate. Il y aurait un trĂšs intĂ©ressant chapitre Ă Ă©crire sur George Sand conseiller littĂ©raire. Elle voit Ă merveille chez les autres le bien et le moins bien, et, Ă cĂŽtĂ© du mal, elle indique le remĂšde avec une infaillible justesse. Solange fit lâĂ©preuve de cette magistrale perspicacitĂ©, qui embrassait Ă la fois le dehors et le dedans, lâenvers et lâendroit. Poncy la ressentit Ă©galement pour son bien, mais son instruction et son goĂ»t y profitĂšrent plus que son talent. Il nâĂ©tait pas susceptible, en effet, dâun dĂ©veloppement indĂ©fini ; il touchera bientĂŽt ses limites. George Sand, qui ne pouvait tarder Ă sâen apercevoir, nâen continua pas moins Ă le cultiver, Ă lâĂ©lever jusquâĂ elle par tous les moyens. Elle sâen prend dâabord Ă ses travers littĂ©raires car il en a, Ă©tant, au fond, plus imitateur ou assimilateur » que crĂ©ateur. TantĂŽt câest un dandysme de pacotille que Poncy a empruntĂ© de Musset, tantĂŽt des hugotismes » qui dĂ©tonnent sous la plume dâun prolĂ©taire. Quâest-ce que cette Juana lâEspagnole, » chantĂ©e par le trĂšs rĂ©cent Ă©poux de DĂ©sirĂ©e ? Voulez-vous ĂȘtre un vrai poĂšte ? soyez un saint ! » Quâil aime sa femme et non toutes les femmes. Aimez-la, aimez-la ! et vous verrez quâon aime toujours plus, quand on nâaime quâune seule femme. Lâamour ne se consume et ne sâappauvrit que dans les faibles cĆurs. Les organisations fortes le nourrissent fortement et lâalimentent toujours dâune flamme nouvelle. Quand jâai voulu peindre un homme plus fort que tous les autres, jâai fait Bernard Mauprat Ă lâĂąge de quatre-vingts ans, nâayant jamais connu le baiser que dâune seule femme, et jâai connu des hommes rares qui ressemblaient Ă celui-lĂ . Leur intelligence Ă©tait plus puissante que toutes les autres. » 10 fĂ©vrier 1843. Cependant Poncy achemine vers Nohant ses nouvelles poĂ©sies, en vue dâun second volume. George Sand lui a demandĂ© dâen faire la PrĂ©face. Ce sera le Chantier, titre proposĂ© par lâauteur, adoptĂ© par George Sand et acceptĂ© par BĂ©ranger. VoilĂ donc le Chantier sur chantier. On y travaille Ă Toulon. On corrige Ă Nohant, on rĂ©vise Ă Paris. Il faudra trouver Ă©diteur, faire les fonds nĂ©cessaires, trouver des souscripteurs, puis des acheteurs. Et George Sand nĂ©gociera avec son propre Ă©diteur Perrotin, obtiendra du crĂ©dit, fera ou fera faire des articles, souscrira, achĂštera, placera. Ce nâest plus seulement la patronne » et la maman de Poncy, câest son universelle Providence. Car elle pourvoit Ă tout. Et elle redresse, Ă©pluche, critique chaque piĂšce, sans perdre dâailleurs de vue les idĂ©es sociales, sans ralentir son prosĂ©lytisme enflammĂ©. Au passage, elle sâexprime avec une entiĂšre franchise sur les cĂ©lĂ©britĂ©s du jour, et ceci nâest pas le moins piquant de lâhistoire Mon cher enfant, comme il est convenu que vous ne montrerez jamais mes lettres, je puis vous Ă©crire tout ce que je vous dirais. BĂ©ranger est un peu politique. Il a lu vos vers et les a corrigĂ©s avec retenue et contrainte. Il ne veut pas croire Ă la modestie dâautrui, parce que la sienne est un peu jouĂ©e. Du reste grand poĂšte et homme de bien, mais chacun a son dĂ©faut. Il vous a fait de petites observations, avec un crayon qui ne marque guĂšre, et en effaçant une minute aprĂšs un conseil qui vous eĂ»t Ă©tĂ© prĂ©cieux. Je vous envoie sa lettre, qui est plus franche et plus sĂ©vĂšre. Mais je ne pense pas quâil serait content dâapprendre que je vous lâai envoyĂ©e sans plus de façon. Câest un brave homme, qui ne veut prendre la responsabilitĂ© de rien, qui craint de fĂącher, et qui nâa dâimprudence, câest-Ă -dire dâentraĂźnement pour rien ni pour personne. Profitez toujours de sa lettre, qui est juste quant au prĂ©sent, mais qui est peut-ĂȘtre un peu sĂ©vĂšre pour lâavenir. Quâelle vous soit utile, et ne vous dĂ©courage pas. » 8 mars 1843. VoilĂ BĂ©ranger peint au vif. Ailleurs câest Victor Hugo qui est jugĂ© et critiquĂ©, Ă lâoccasion dâun mauvais vers de son maladroit Ă©mule Mon cher enfant, tous vos vers sont examinĂ©s avec soin, avec une sĂ©vĂ©ritĂ© que vous trouverez peut-ĂȘtre excessive, mais dont je ne chercherai pas Ă me justifier, vous savez bien pourquoi. Corrigez avec le mĂȘme courage que vous avez eu dĂ©jà ⊠Je ne vous renvoie pas quelques piĂšces auxquelles je nâai rien trouvĂ© Ă redire ; si ce nâest dans lâAnge et le poĂšte, un hĂ©mistiche seulement Et la mer encensait, immense cassolette, Les pieds divins de lâange et le front du poĂšte. La cassolette me dĂ©plaĂźt. Ăvitez, je vous le conseille, quand vous peignez les grandes scĂšnes de la nature, de comparer les grandes choses aux petites, et surtout Ă des meubles, Ă des objets qui ne prĂ©sentent quâune idĂ©e burlesque, tant lâobjet comparĂ© leur est supĂ©rieur en Ă©tendue, en beautĂ©, en grandeur idĂ©ale. Câest le dĂ©faut capital de ce sublime et absurde Victor Hugo, composĂ© de magnifique et de mesquin, de grandiose et de ridicule, homme de gĂ©nie que la louange a perdu, et qui sâen va droit Ă lâhĂŽpital des fous, montĂ© sur un PĂ©gase dĂ©bridĂ© qui a pris le vertigo. Ce malheureux poĂšte vous a terriblement influencĂ©. Il vous a fait du bien et du mal. Nâen gardez que le bien, jugez ses dĂ©fauts, et surtout son insupportable vanitĂ© qui lâa dĂ©tournĂ© de tout examen de lui-mĂȘme, de toute conscience, de tout respect pour la logique et le bon sens. â Ne croyez pas que je sois de ses ennemis je ne lâai jamais vu, je nâai jamais eu Ă me plaindre de lui en aucune façon, je lâai beaucoup admirĂ©, et sa folie me fait grandâpeine, ainsi quâĂ bien dâautres, et Ă BĂ©ranger tout le premier. » Paris, 7 mai 1843, deux mois aprĂšs les Burgraves. ĂperonnĂ© et tenu en main de la sorte, le facile Poncy donne maintenant tout son effort. Dix-huit mois sâĂ©coulent, dans le labeur intelligent et bienfaisant ; il obtient toute la maturitĂ© dont sa nature poĂ©tique est capable. Il aime, il Ă©tudie, il sâenthousiasme, il pleure aussi. Car la douleur le visite, et son Ăąme sensible est atteinte par la mort presque simultanĂ©e de sa mĂšre et de son premier enfant. BientĂŽt une autre espĂ©rance lui sourit ; et George Sand, avant que le second enfant soit au monde, lui demande de donner Ă cet enfant le nom de lâun des siens. Ce fut une fille Solange fut son nom, et sa marraine fut Solange Sand. Les poĂšmes du Chantier, qui parurent en volume en 1844, trahissent lâimpulsion vigoureuse qui partait de Nohant. Non seulement les idĂ©es, mais les sujets parfois VĂ©ritĂ© et RĂ©alitĂ©, le ton gĂ©nĂ©ral, çà et lĂ lâĂ©loquence vĂ©ritable, relĂšvent de cet idĂ©al humanitaire que George Sand soufflait Ă Poncy avec sa tendresse. Il y a de beaux Ă©lans dans la piĂšce intitulĂ©e Aspiration. Dans lâUnion, un chaleureux appel Ă la concorde des peuples Mes frĂšres, il est temps que les haines sâoublient, Que sous un seul drapeau les peuples se rallient ; Le chemin du salut va pour nous sâaplanir La grande libertĂ© que lâhumanitĂ© rĂȘve, Comme un nouveau soleil, radieuse se lĂšve Sur lâhorizon de lâavenir. Afin que ce soleil de clartĂ©s nous inonde, Afin que chaque jour son feu divin fĂ©conde Nos cĆurs, oĂč lâĂternel sema la vĂ©ritĂ©, Il nous faut achever lâĆuvre que Dieu commence ; Il faut que nos sueurs et notre amour immense Enfantent la fraternitĂ©. Dâautres morceaux, Byron Ă Albano, Une nuit sur lâAtlas, visent au poĂšme, ou Ă la mĂ©ditation, et y atteignent presque. Poncy est dans le Chantier sensiblement au-dessus de ses Marines ; mais, quoiquâil nâait que vingt-trois ans, il touche son zĂ©nith. Il nâira pas plus haut ; voire il retombera. Mais cet essor apprĂ©ciable suffit Ă George Sand. Il progresse, donc il montera toujours ! Et, dans sa joie, elle part en effusions prophĂ©tiques, elle transfigure son cher poĂšte, sans se demander si, elle aussi, nâenfourche pas quelque PĂ©gase qui prend Ă sa maniĂšre le vertigo ⊠Je ne mâĂ©tais donc pas trompĂ©e, vous serez et vous ĂȘtes dĂ©jĂ un grand poĂšte ! Bien des gens, malgrĂ© une approbation prononcĂ©e pour votre premier volume, me raillaient de mon engouement pour mon maçon. Eh bien ! mon maçon a trĂšs bien justifiĂ© mon engouement. Tous ceux Ă qui je lis vos nouveaux vers, Victor Laprade, François, Pernet[9]lui-mĂȘme, lâintraitable et incontentable Pernet, Bocage et dâautres encore sont dans lâenthousiasme⊠Câest le peuple qui Ă©clate par votre voix, vous ĂȘtes sa gloire. Oh ! reprĂ©sentez donc toujours son Ăąme et son esprit, non tel quâil est encore en grande partie, mais tel quâil doit ĂȘtre, tel quâil sera grĂące Ă ses beaux types, Ă ses poĂštes, Ă ses rĂ©vĂ©lateurs du feu sacrĂ© qui couve en lui depuis six mille ans, grĂące Ă vous qui ĂȘtes le premier de ceux-lĂ aujourdâhui⊠» Elle le loue ensuite, et avec raison, dâavoir si bien acceptĂ© et suivi ses critiques, dâavoir repris en sous-Ćuvre son intelligence et son cĆur Ă la fois. » Il a compris quâil y avait des poĂštes de forme et des poĂštes de fond, il a voulu avoir la forme et le fond Ă la fois. Et elle repart, avec une Ă©loquence qui croĂźt de page en page la lettre en a douze Ce que vous avez composĂ© depuis que la douleur â hĂ©las ! triste maĂźtre, â est venue vous frapper au cĆur, est de dix coudĂ©es plus grand que tout ce qui a prĂ©cĂ©dĂ©. Mon pauvre enfant, Dieu vous prĂ©serve de boire toujours Ă cette source amĂšre ! Mais il est une religieuse tristesse, mĂȘlĂ©e dâĂ©clairs dâenthousiasme, dâespoir et de foi, que longtemps encore ni vous, ni moi, ni aucun de ceux qui ne sont pas dâinfĂąmes Ă©goĂŻstes porteront pour conseil et pour stimulant au fond de leurs Ăąmes navrĂ©es câest la tristesse de voir tant de malheurs dans le monde, tant de misĂšres Ă©craser, corrompre, avilir nos frĂšres. Je dis mes frĂšres, car moi qui suis nĂ©e en apparence dans les rangs de lâaristocratie, je tiens au peuple par le sang autant que par le cĆur. Ma mĂšre Ă©tait plus bas placĂ©e que la vĂŽtre, dans cette sociĂ©tĂ© si bizarre et si heurtĂ©e. Elle nâappartenait pas Ă cette classa laborieuse et persĂ©vĂ©rante qui vous donne Ă vous un titre de noblesse dans le peuple. Elle Ă©tait de la race vagabonde et avilie des BohĂ©miens de ce monde. Elle Ă©tait danseuse ; moins que danseuse, comparse sur le dernier des théùtres du boulevard de Paris, lorsque lâamour du riche vint la tirer de cette abjection pour lui en faire subir de plus grandes encore. Mon pĂšre la connut lorsquâelle avait dĂ©jĂ 30 ans, et au milieu de quels Ă©garemens ! Il avait un grand cĆur, lui ; il comprit que cette belle crĂ©ature pouvait encore aimer, et il lâĂ©pousa contre le grĂ© et presque sous le coup des malĂ©dictions de sa famille. Longtemps pauvre avec elle, il aima jusquâaux enfans quâelle avait eus avant lui. NĂ©e dans leur mansarde, jâai commencĂ© par la misĂšre, la vie errante et pĂ©nible des camps, le dĂ©sordre dâune existence folle, aventureuse, pleine dâenthousiasme et de souffrances. Je me souviens dâavoir fait la campagne de 1808 en Espagne sur une charrette, ayant la gale jusquâaux dents. AprĂšs cela, ma grandâmĂšre, qui Ă©tait bonne comme un ange au fond, pardonna, oublia, et reçut dans ses bras son fils, sa femme et les enfans. Je fus faite demoiselle et hĂ©ritiĂšre. Mais je nâoublierai jamais que le sang plĂ©bĂ©ien coulait dans mes veines ; et ceux qui mâont inventĂ© de charmantes biographies, me faisant gratuitement comtesse et marquise, parlant de mon bisaĂŻeul le marĂ©chal de Saxe et de mon trisaĂŻeul le roi de Pologne, ont toujours oubliĂ© de faire mention de ma mĂšre la comparse et de mon grand-pĂšre le marchand dâoiseaux. Je le leur apprendrai si jamais jâĂ©cris des mĂ©moires, ce dont je doute[10], parce que je nâaime pas Ă parler de moi câest si inutile ! Mais je devais vous dire tout cela, mon cher enfant, pour que vous ne me croyiez pas si intrue sic dans le peuple, ni si mĂ©ritante, moi grande dame, comme certains bourgeois mâappellent, de vous regarder comme mon Ă©gal. Vous voyez que, quand mĂȘme jâaurais les prĂ©jugĂ©s de lâinĂ©galitĂ©, jâaurais mauvaise grĂące Ă mâen targuer. Et je rends grĂące Ă Dieu dâavoir de ce sang plus chaud que le leur dans les artĂšres. Je sens que je ne suis pas obligĂ©e de faire des efforts de raison et de philosophie pour me dĂ©tacher de cette caste, Ă laquelle mes entrailles tiennent beaucoup moins directement quâau ventre de ma mĂšre. CâĂ©tait bien la vraie mĂšre de Consuelo[11], battant dâune main et caressant de lâautre, portant ses enfans sur son dos, tendre et violente, terrible dans sa colĂšre et gĂ©nĂ©reuse dans son amour. Depuis le jour oĂč elle a aimĂ© mon pĂšre, elle a Ă©tĂ© exemplaire dans sa conduite, et ma grandâmĂšre avait fini par lâaimer. Mais câest assez vous parler de moi. Pardonnez-moi ce mouvement dâorgueil, et croyez que je comprends bien les tentations de lâhomme du peuple devant les enivremens que le riche et lâoisif prĂ©sentent Ă sa soif dâĂ©motion et de bonheur. Mais je les connais bien aussi, ces classes perverses et dangereuses qui ne caressent que pour Ă©trangler. Les exceptions y sont si rares, que nous devons y avoir peu dâamis ; et, quelque avilis, quelque corrompus et abjects que nous voyions nos frĂšres, nous devons nous dire que câest nous, nous-mĂȘmes, la moelle de nos os, la chair de notre chair et le sang de notre sang, qui gĂ©mit lĂ dans la fange. Vous Ă©criviez Ă Jourdan[12]que vous ne pouviez voir cela sans rougir et sans dĂ©sespĂ©rer de la bontĂ© de Dieu. Eh bien ! est-ce que vous ne portez pas un reflet de la bontĂ© de Dieu dans votre Ăąme, vous ? et aussi un rayon de sa force et de sa puissance ? Sâil vous a donnĂ© cette force et cette pitiĂ©, ces moyens souverains dâagir pour la rĂ©habilitation des autres, apparemment que Dieu nâabandonne pas la race humaine Ă ses propres dĂ©sastres. Il lâappelle par votre voix. Il la stimule par votre exemple, et bientĂŽt elle se relĂšvera. Car Dieu se rĂ©vĂšle chaque jour davantage Ă des poĂštes et Ă des philosophes plĂ©bĂ©iens. Proudhon, simple ouvrier, est un penseur bien remarquable ; et je ne sais pas trop ce que nos philosophes patentĂ©s, nos hommes dâEtat doctrinaires et autres trouveront Ă lui rĂ©pondre. Ayez donc courage ! Le genre humain est soumis Ă une longue et pĂ©nible Ă©ducation. Le temps ne paraĂźt long quâĂ nous. Aux yeux de Dieu, il nâexiste pas. Nos siĂšcles ne comptent pas dans lâĂ©ternitĂ© ; car nous mourons pour renaĂźtre et progresser. Chaque existence est la rĂ©compense ou le chĂątiment de celle qui lâa prĂ©cĂ©dĂ©e. Chaque vertu amasse pour notre prochaine rĂ©apparition sur la terre un trĂ©sor de dĂ©dommagemens et de force nouvelle. Soyez sĂ»r que vous avez dĂ©jĂ vĂ©cu de tout temps sur la terre, et que votre gĂ©nie poĂ©tique est la rĂ©compense de quelque belle action, de quelque noble dĂ©vouement dont vous ne vous souvenez pas. Faites-en donc un noble usage, afin de vous rĂ©veiller apĂŽtre ou hĂ©ros aprĂšs le sommeil de la mort. Et maintenant ne doutez pas et ne dĂ©sespĂ©rez pas ; vous qui ĂȘtes un des sanctuaires de lâaction divine, vous nâavez pas le droit de douter de cette action sur le monde. Priez toujours ! Dites toujours Seigneur, Seigneur, la vĂ©ritĂ© ! La foi vous viendra. Câest alors seulement que vous serez un poĂšte complet, un grand poĂšte. Et maintenant que je vous couronne avec tant de joie et de tendresse, ne soyez pas enivrĂ©. Restez modeste. La modestie nâest pas, comme on le prĂ©tend, une hypocrite vertu. Telle que je lâentends, câest un sentiment profond de notre devoir. Du moment que nous sommes plus contens de nous-mĂȘmes quâil ne faut, nous perdons nos forces, la conscience sâen va, nous travaillons mal, follement et inutilement. Quand les hommes faciles Ă lâenthousiasme autant quâau dĂ©nigrement nous portent bien haut, interrogeons Dieu, et demandons-lui si nous avons fait autant quâil attendait de nous. Voyons le but de nos efforts il est immense ! Voyons la saintetĂ© de notre cause elle est sublime ! Voyons lâaspiration que Dieu nous a donnĂ©e pour lâidĂ©al elle est infinie ! or, rien de ce que nous faisons jour par jour nâest Ă la hauteur de notre but et de notre dĂ©sir. Si nous croyons avoir atteint ce but, apparemment il cesse de nous paraĂźtre infini et divin. Ce sentiment, cette foi perdus, par quoi serons-nous inspirĂ©s ? Par lâamour de nous-mĂȘmes ? Mais nous sommes des ĂȘtres finis, bornĂ©s, impuissans, mobiles, soumis Ă la dĂ©faillance, au caprice, Ă lâennui, Ă la fatigue, Ă la maladie. Quand nous crĂ©ons quelque chose de grand et de beau, savez-vous que câest un miracle ? oui, câest un miracle dâen haut. Câest Dieu qui vibre, qui parle, qui agit en nous. Nâest-ce pas le moment dâĂȘtre humbles et reconnaissans ? Que deviendrions-nous sâil nous retirait le feu sacrĂ© ? Et il nous le retire, Ă coup sĂ»r, aussitĂŽt que nous le cherchons en nous seuls. Il se fait tard. Bonsoir, mon enfant⊠» Paris, 23 dĂ©cembre 1843. Ainsi monte, monte, dans le silence de la mĂ©ditation nocturne, la pensĂ©e du grand Ă©crivain. Son Ăąme, toute gonflĂ©e des aspirations indistinctes de lâĂąme populaire, prend lâessor. Elle montre Ă Poncy la route sublime, et lâinvite Ă la suivre. Mais Poncy nâest plus ici lâouvrier de Toulon, câest lâĂȘtre collectif qui souffre et qui espĂšre, câest un symbole. De telles pages, qui ne dĂ©passaient peut-ĂȘtre pas son intelligence, dĂ©passent infiniment sa personne. Câest une voix dâen haut qui rĂ©pond Ă une voix dâen bas[13]. FiertĂ© Ă rebours que cette vĂ©hĂ©mente revendication plĂ©bĂ©ienne chez lâarriĂšre-petite-fille de Maurice de Saxe, soit ! confidences horribles et inutiles ! » sâĂ©criera Solange, qui balafrera cette lettre dâun crayon irritĂ©[14]. Solange sâexprime souvent en personne un peu trop sĂ»re dâavoir recueilli dans ses veines tout le sang bleu de la famille. Horribles Ă ses yeux, ces confidences sur la fille du marchand dâoiseaux peuvent paraĂźtre trĂšs attachantes Ă des yeux moins filiaux. Quant Ă leur utilitĂ©, elle est pĂ©remptoire pour ceux qui cherchent Ă pĂ©nĂ©trer lâĂąme passionnĂ©e de lâamie de Leroux, de la future collaboratrice de Ledru-Rollin. Et puis, tout cela devait demeurer secret entre elle, et Poncy. Ne montrez ces lettres Ă personne ! » lui recommande-t-elle Ă tout instant. Et Poncy fut fidĂšle, en ceci comme en tout le reste. Câest cette condition du secret qui explique les jugemens trĂšs libres de George Sand sur les hommes et les choses de ces annĂ©es dâattente. Et, lâun corrigeant lâautre, elle autorisait les mercuriales quâelle devait parfois infliger Ă son enfant » par des sĂ©vĂ©ritĂ©s non moins justes qui tombaient Ă plomb sur ses contemporains les plus notoires. On en jugera par ces extraits dâune lettre qui ne compte pas moins de quatorze pages serrĂ©es Mon enfant, ne vous fĂąchez pas aprĂšs nous, et croyez que nous faisons tout ce qui nous est possible⊠Nous ne regrettons pas notre peine, si vous ne nous en voulez pas trop. Je ne sais pas si M. Jourdan vous annonce toutes les petites modifications que nous nous permettons. Je vous dĂ©clare, bien que vous ayez pensĂ© le contraire, quâil est beaucoup plus sĂ©vĂšre que moi. Mais peut-on lâĂȘtre trop, quand on est en mĂȘme temps respectueux et enthousiaste admirateur ? Si vous ne vous fiez point Ă nous deux, et si votre orgueil vous fait regretter de mauvaises choses justement sacrifiĂ©es, vous ne vous fierez Ă personne, et vous caresserez vos dĂ©fauts avec amour comme les maĂźtres de lâĂ©cole romantique. Il leur en cuit, et il vous en cuira, Ă moins que vous ne soyez entourĂ© de flatteurs aveugles, qui vous brĂ»lent sous le nez un encens grossier en vous persuadant que vous ne pouvez faillir. La vanitĂ© est lâennemi intĂ©rieur que les poĂštes portent en eux. Vous en avez, et je ne cesserai pas de vous dire que pour ĂȘtre un grand poĂšte il faut ĂȘtre un bon enfant. Le gĂ©nie ne grandit quâĂ la condition dâĂȘtre modeste. Il est vrai que vous avez corrigĂ© admirablement et avec courage. Jâai donc plus de complimens que de sermons Ă vous faire. Mais je vous gronde et je vous blĂąme de regretter le tonnerre taille, et autres ĂąpretĂ©s de langage ou mĂ©taphores exagĂ©rĂ©es que le goĂ»t proscrit. Je ne me pique pas dâĂȘtre classique, je mâen dĂ©fends au contraire. Mais je me dĂ©fends aussi de lâexcĂšs romantique, et je crois que le beau est Ă la limite de lâun et de lâautre. A preuve que vous ĂȘtes, sauf quelques cas signalĂ©s, Ă cette limite excellente. Quand vous ĂȘtes vraiment grand, vraiment inspirĂ©, vous ĂȘtes aussi romantique que possible, et en mĂȘme temps aussi classique que possible, câest-Ă -dire que vous ne tombez ni dans le stupide de lâun, ni dans lâabsurde de lâautre, et que vous avez pourtant toutes les forces vives de lâĂ©cole de Hugo et toute la puretĂ© majestueuse de lâĂ©cole de Racine. Cultivez lâune et lâautre, sans ĂȘtre le copiste dâaucune. Quand vous entendrez dire Ă vos courtisans VoilĂ du Hugo ! » soyez sĂ»r que vous avez lĂąchĂ© une folie ; de mĂȘme que si lâon vous dit VoilĂ du Racine ! » vous aurez lĂąchĂ© une platitude. Câest que ce qui est lâimitation servile des modĂšles est toujours mauvais, quelques grands que ces modĂšles soient⊠Je ne voudrais pour vous corriger que vous montrer le ridicule amer et dĂ©plorable de la plupart de nos grands hommes ils vous sembleraient petits et bĂȘtes ; et pourtant ils ne sont quâun peu fous, et enivrĂ©s de flatteries. Moi, je vous dis vous avez du gĂ©nie et de lâesprit ; faites servir votre esprit Ă empĂȘcher votre gĂ©nie de vous rendre bĂȘte. Je blĂąme une petite partie de vos dons. Un exemplaire Ă de Musset ! Il mĂ©prise profondĂ©ment les ouvriers poĂštes, et, Ă moins quâun miracle ne se fasse en lui, il crachera sur votre volume. Il est devenu talon rouge et conservateur, Ă la fois marquis et juste milieu. Aussi nâa-t-il plus le feu sacrĂ© qui lui inspirait autrefois des chants sublimes. Il est mort. Un exemplaire Ă Lerminier !⊠Câest donc pour quâil vous Ă©trille et que je sois forcĂ©e encore de dĂ©fendre votre cause contre lui[15] ? Mais pourquoi sâhumilier devant ses ennemis et leur faire la rĂ©vĂ©rence ?⊠Un Lerminier ! Je ne vous le passe pas ! ou bien, si vous ne savez pas ce que câest que Lerminier, Ă la bonne heure ! sancta simplicitas ! Jâajouterai Ă votre liste quelques noms que vous avez oubliĂ©s Magu, Le Breton, Beuzeville, Ponty, Perdiguier, etc.[16]. Mais tout cela me regarde. Je compte en acheter un certain nombre Ă Perrotin pour les rĂ©pandre. Jâen enverrai douze Ă Lyon, Ă de braves canuts, meilleurs juges, croyez-moi, et admirateurs plus dignes que vos hommes de lettres. Soyez tranquille pourtant. Presque tous ceux que vous me dĂ©signez auront leur tribut ; et, quand aux autres, jâen chargerai Jourdan si vous y tenez, quoiquâil me dĂ©plaise fort de voir mettre ma prĂ©face aux pieds de M. Lerminier, et de ce pauvre Alfred qui se croira obligĂ© dâallumer son cigare avec, sâil ne fait pis. â Votre livre sâappelle le Chantier, comme vous lâavez voulu. Le titre me paraĂźt fort bon. Vous ĂȘtes dans une grande erreur de croire tant Ă lâimportance dâun titre. Quels imbĂ©ciles vous ont mis cela dans la tĂȘte ? Dites-leur que je sais mieux quâeux que les livres ne signifient que par ce qui est dedans, et non par ce qui est dessus. Jâaurai soin de votre lettre pour Lamennais, quoiquâil ne mâapprouve pas beaucoup de vouloir tant civiliser et glorifier le peuple. ⊠Ce nâest point une utopie lâavenir du monde, lâidĂ©al de lâĂ©galitĂ© future est lĂ , et non ailleurs. Si bon, si beau, si grand que soit un homme, du moment quâil est nĂ© dans la noblesse ou dans la bourgeoisie, et quâil sây est dĂ©veloppĂ©, il ne comprend pas le peuple. Arago, Lamennais, BĂ©ranger, Lamartine, oui certes, grandes gloires, grands gĂ©nies, grands et beaux caractĂšres ! Et cependant la prĂ©dication de lâĂ©galitĂ© est Ă leurs yeux une folle et dangereuse utopie. Ils aiment le peuple et lâhonorent autant quâils peuvent ; mais ils ne croient point en lui, ils ne le connaissent pas, ils ne le comprennent pas. Ce nâest pas leur faute ! Je ne connais quâun bourgeois qui porte rĂ©ellement le peuple dans son cĆur câest Louis Blanc, jeune homme dâun admirable talent et dâune haute capacité⊠Le grand Reynaud lui-mĂȘme, cette admirable intelligence, croit et pousse un peu maintenant Ă la conservation des castes. Cette mortelle erreur a atteint les plus nobles esprits de notre temps. Le rĂ©veil viendra sans doute. Mais, en attendant, le peuple doit faire son Ćuvre et compter sur lui seul. Votre Flora Tristan est une comĂ©dienne, votre EugĂšne Pelletan un farceur. Jean Aycard, Charton, braves jeunes gens, mais bourgeois ! Envoyez-leur des exemplaires. Acceptons le peu que font ceux-ci, et tout ce dont ceux-lĂ font le semblant ; mais quand vous lĂšverez Ă lâavenir du monde, Ă la rĂ©gĂ©nĂ©ration de la foi et de la vertu, inspirez-vous du peuple, mon enfant⊠Jourdan mâa fait voir une ancienne lettre de vous, oĂč vous Ă©tiez aussi sceptique que les plus sceptiques. Vous Ă©tiez blessĂ© des mauvaises rimes de Savinien Savinien serait un grand poĂšte sâil nâavait dĂ©jĂ pris les vices de cĆur de la bourgeoisie littĂ©raire quâil frĂ©quente et quâil singe. Il ne fera pas de progrĂšs, je vous le prĂ©dis ; il est perdu dâorgueil, dâambition et de vanitĂ©. Vous Ă©tiez dĂ©sespĂ©rĂ© de voir lâabjection et les vices du pauvre peuple ! Mon enfant, vous regardiez la rĂ©alitĂ©. La rĂ©alitĂ© nâest pas la vĂ©ritĂ©. Il y a lĂ une grande distinction Ă faire. Tenez, vous pourrez la faire en termes poĂ©tiques et en beaux vers. Câest un sujet digne de vous. Moi, je vais vous lâindiquer en vile prose. La rĂ©alitĂ©, câest le spectacle des choses matĂ©rielles ; câest changeant, mobile, transitoire, transformable, Ă©phĂ©mĂšre comme elles. Ce nâest donc pas la vĂ©ritĂ©. La vĂ©ritĂ© est immuable et Ă©ternelle. Câest quelque chose dâabstrait et dâĂ©ternellement pur et beau comme Dieu, car câest Dieu mĂȘme⊠» Suit une page sur ce thĂšme, que Poncy a mĂ©diocrement versifiĂ©e dans son recueil. Voyez donc la rĂ©alitĂ© pour souffrir et pleurer sur les maux de la terre. Voyez la vĂ©ritĂ© pour avoir confiance en Dieu et lire dans lâavenir du monde. Et puis, quand vous pensez Ă notre monde de lettrĂ©s et dâĂ©rudits, ne vous figurez pas que Dieu leur parle plus quâĂ vous, noble poĂšte ignorant des choses dâici-bas, plus quâĂ DĂ©sirĂ©e, cette simple fille de la nature et de lâamour. Ne vous faites pas des idoles de chair et de sang, car tout cela câest de la boue si Dieu ne lâĂ©chauffĂ© et ne le transforme. Ne vous prĂ©occupez pas de comprendre ce que veut celui-ci, et ce que cache celui-lĂ . Tout cela, câest le chaos de la dissolution qui se fait dans les intelligences avant de se faire dans les institutions. Ce miracle sortira du peuple ; et vous, poĂšte prolĂ©taire, vous ĂȘtes un des prophĂštes du miracle, le plus inspirĂ© jusquâĂ prĂ©sent ! Ayez grande idĂ©e de votre mission, et pas plus dâamour pour vous-mĂȘme que pour le vase oĂč brĂ»le lâencens, lâautel oĂč descend la flamme. Ne cherchez pas votre gloire en ce monde. Ne perdez pas votre temps Ă Ă©crire Ă tous ces gens de lettres, Ă tous ces faiseurs de systĂšmes plus ou moins Ă©troits. Lisez quelques bons livres, peu et bien ; et puis, allez toujours en avant de ces livres, et cherchez en Dieu qui vous parle tout ce qui manque encore Ă lâĆuvre des hommes. Cette lettre de sermons est tout Ă fait secrĂšte. Jây parle des hommes les plus illustres de notre temps avec un peu de franchise. Il ne serait pas utile, il serait mĂȘme nuisible Ă des hommes faibles, de les dĂ©senchanter de ces types qui matĂ©rialisent Ă leurs yeux tout ce qui reste de grand sur la terre. Mais vous comprendrez, vous, ma distinction vous verrez le respect quâon leur doit, mais le respect plus grand encore quâon doit Ă ce qui est au-dessus dâeux, la vĂ©ritĂ©. Leurs doutes, leurs incertitudes, leurs mĂ©fiances, leurs dĂ©couragemens, nâentament point lâarmure de lâimmortelle beauté⊠» 26 janvier 1844. Cinq semaines aprĂšs, le 2 mars 1844, paraissait chez Perrotin le Chantier, avec la copieuse PrĂ©face de George Sand. Satisfaction et fiertĂ©. Savez-vous que vous ĂȘtes le seul poĂšte ouvrier qui puisse trouver un Ă©diteur Ă Paris, par le temps qui court ? » On ne lit plus de vers. Tel est le triste Ă©tat des choses. » Cependant, parmi ceux qui lisent, certains ne sont pas favorables Ă Poncy. Quelques juges sĂ©vĂšres font mĂȘme des restrictions graves. Qui sait si George Sand elle-mĂȘme, devant lâouvrage imprimĂ©, nâen fait pas ? Car dans ce cas, suivant le joli mot de La BruyĂšre, lâimpression est lâĂ©cueil. » Il faut quâelle ait vu plus clair aprĂšs coup, â un peu tard, â pour faire au poĂšte un rĂ©sumĂ© aussi impartialement fidĂšle desdites critiques Ils trouvent que je suis trop engouĂ©e de vos vers, que jâen ai trop dit de bien, et quâil est Ă craindre que vous nâen preniez trop de confiance en vous-mĂȘme. Ils disent que vous avez Ă©normĂ©ment de talent, et pas encore de vĂ©ritable gĂ©nie. Ils vous admirent en tant quâouvrier poĂšte et enfant poĂšte mais ils ajoutent que pour ĂȘtre vraiment un grand poĂšte il faut avoir plus vĂ©cu, plus senti, plus appris, plus mĂ©ditĂ©, plus souffert des maux gĂ©nĂ©raux que vous nâavez pu encore le faire. Ils demandent que vous ne vous pressiez pas de faire dâautres vers, que vous laissiez mĂ»rir en vous de mĂąles et fortes pensĂ©es, que vous viviez Ă fond avec les hommes, avec lâhumanitĂ© abstraite et rĂ©elle ; enfin ils disent quâil faut que lâenfant se fasse homme⊠» Et elle, que dit-elle ? Moi, je dis quâil y a du vrai dans tout cela, quoique ce soit bien sĂ©vĂšre ; et, si quelquâun doute que vous ayez la force de suivre de pareils conseils, moi je nâen doute pas. Je ne pense pas que vous deviez vous abstenir de faire des vers quand il vous en vient, mais je dis quâil nâen faut pas chercher quand il nâen vient pas⊠» 19 mars 1844. Poncy comprit-il ? Un peu, sans doute. Car nous le voyons essayer de la prose. Or, comme tous les rimeurs sans Ă©tudes, il Ă©crivait moins bien en prose quâen vers. Il envoie une nouvelle » Ă George Sand, qui la trouve Ă©triquĂ©e » et de style insuffisant. Mais, dit-elle, je suis toujours la mĂšre grognon et ne laisse rien passer. » Heureusement la naissance de lâenfant attendu vient faire diversion. Vers et prose sont oubliĂ©s auprĂšs du berceau de la petite Solange. Il reprend bientĂŽt la plume, pour sâexercer sur un sujet nouveau que George Sand lui propose la chanson de chaque mĂ©tier. Ce sera, entre parenthĂšse, son plus faible ouvrage, dâautant plus quâil est presque de commande mais Poncy a tant de docilitĂ© ! Câest la plus grande qualitĂ© de son caractĂšre ; câest sans doute en littĂ©rature son plus grand dĂ©faut. Il rime, il envoie des spĂ©cimens de ses chansons, et George Sand recommence Ă ĂȘtre enchantĂ©e. Les lettres recommencent Ă couler de Nohant, mais plus familiales, comme patriarcales. Poncy est initiĂ© peu Ă peu Ă cette paisible et exquise vie berrichonne que mĂšne sa protectrice, entre son fils, parfois sa fille, son frĂšre Hippolyte et son travail. Cependant on continue Ă parler de lui dans les feuilles avancĂ©es. Un sourd dĂ©sir sâempare de lâouvrier toulonnais, que les lauriers de Reboul, reçu en 1839 Ă Paris en triomphe, empĂȘchent de dormir. Voir Paris ! parler Ă ces hommes cĂ©lĂšbres qui lui ont Ă©crit, qui ont chantĂ© ses louanges ! Voir George Sand surtout, recevoir son accolade maternelle aprĂšs ses lettres ! Rien nâĂ©tait plus naturel. Et George Sand lui Ă©crit aussitĂŽt Venez ! » Elle aussi a le dĂ©sir de connaĂźtre son poĂšte, son fils spirituel. Ne doutons pas cependant quâĂ sa joie ne se soit mĂȘlĂ©e quelque apprĂ©hension. RĂ©pondrait-il, lâhomme, Ă lâidĂ©e quâelle sâen Ă©tait faite dâaprĂšs ses vers ? Cette fois, la connaissance pouvait ĂȘtre recueil. Et puis, elle savait quâils sâapprĂȘtaient Ă Paris, les autres, pour une manifestation en lâhonneur du poĂšte ouvrier. AprĂšs ces hommages bruyans et trop publics, Poncy serait-il encore son Poncy ? Enfin, le Paris corrupteur quâelle dĂ©testait, quâelle dĂ©testa toujours, nâallait-il pas le lui dĂ©praver ? Toute sa bontĂ© de maman sâatteste dans le billet de 100 francs quâelle mit sous enveloppe pour lui faciliter le voyage, et tout son cĆur dans les recommandations dont elle accompagne le billet. Elle lui traçait son itinĂ©raire, dĂ©taillait les changemens de diligence, les correspondances, les arrĂȘts. Elle lâattendrait Ă Nohant, Ă son retour de la capitale. Elle ajoutait, comme rĂ©signĂ©e Voyez donc Paris, puisque vous lâavez tant rĂȘvĂ©. Je crains pour vous une grande dĂ©ception. Moi, je hais cette ville de boue et de vices. Mais enfin câest la capitale du monde pour les arts et pour lâesprit. Adieu, et au revoir ! BientĂŽt, jâespĂšre ! » 1er nov. 1845. Poncy roulait aussitĂŽt vers Paris ; et, Ă Alfort, il tombait dans les bras de cinquante compagnons, ouvriers ou rĂ©dacteurs de la Ruche populaire, souscripteurs et admirateurs du poĂšte maçon. LâĂ©preuve redoutĂ©e par George Sand commençait. â Disons vite quâelle se termina tout Ă lâhonneur de Poncy. Mais, au dĂ©but, la manifestation faillit mal tourner. Un grand banquet attendait Ă Alfort notre poĂšte. CâĂ©tait dĂ©jĂ le cĂ©rĂ©monial obligĂ© salle de restaurant, drapeaux, toasts. Vinçard le harangua. On sâĂ©tait bien promis dâĂȘtre sages, dignes et seulement fraternels. » Mais les tĂȘtes peu Ă peu sâĂ©chauffĂšrent. On rĂ©crimina contre la bourgeoisie, le veau dâor, les habits noirs. Et, renchĂ©rissant encore, un orateur, mouchard ou imbĂ©cile, sâĂ©cria Marchons sur Paris ! enlevons-le dâassaut[17] ! » Tumulte. Le commissaire obligea le prĂ©sident Ă dissoudre la sĂ©ance, et interdit le banquet qui devait avoir lieu le soir mĂȘme. On le vit alors dans les salons, comme Reboul. Comme Reboul, il fut reçu par BĂ©ranger, par Lamennais, par Alfred de Vigny, Sainte-Beuve, Lamartine, Etienne Arago, etc. Et, comme Reboul, il se fatigua vite dâĂȘtre exhibĂ© comme un phĂ©nomĂšne. Le maçon de Toulon regrettait la truelle comme le boulanger de NĂźmes avait la nostalgie de sa boutique. Cependant, bien lui en prit, dans une circonstance quâil contait volontiers plus tard, de savoir gĂącher du plĂątre. Le MĂ©ridional grelottait dans son petit hĂŽtel de la rue Rambuteau. Il voulut faire du feu. La cheminĂ©e fumait, Ă lâasphyxier. Il sâen plaignit au propriĂ©taire. La rĂ©ponse fut quâil nây avait rien Ă faire, les fumistes ayant inutilement besognĂ© le matin mĂȘme. Au reste, leurs outils Ă©taient encore lĂ . Passez-moi une auge et du plĂątre. » Et Poncy enlĂšve sa redingote pour endosser la blouse. Le voilĂ sur le toit, dĂ©molissant, rebĂątissant. Une heure aprĂšs, la flamme pointait droit dans la cheminĂ©e aux yeux du propriĂ©taire Ă©bahi, bien convaincu quâil Ă©tait en prĂ©sence du premier fumiste du monde. Poncy sâesquiva donc de Paris au plus vite. Il dut nây demeurer quâune douzaine de jours, puisque, le 24 novembre, il Ă©tait dĂ©jĂ en route pour Toulon, aprĂšs avoir fait une Ă©tape de quelques jours Ă Nohant. LĂ Ă©tait pour lui lâintĂ©rĂȘt sĂ©rieux du voyage, et son Ă©motion. Ce que fut pour lui lâamie maternelle, dans le patriarcal Nohant, on le devine. Ce quâil y montra, lui, de qualitĂ©s morales et de charme de caractĂšre, paraĂźt au grand jour dans une lettre dont George Sand escorta son dĂ©part. Il dut la recevoir Ă Toulon Ă son arrivĂ©e. Peut-ĂȘtre mĂȘme DĂ©sirĂ©e la lut-elle avant lui, car elle savait lire, et mĂȘme elle Ă©crivait Ă George Sand des billets ingĂ©nus, dont George Sand exigeait que son mari respectĂąt lâorthographe Je vous ai trouvĂ© en tous points selon mon cĆur, et jâen suis si heureuse quâil me semble que ma vie en est augmentĂ©e ou renouvelĂ©e. Vous savez ? on cherche le vrai dans les idĂ©es, dans lâabstraction, dans lâabsolu, et câest la vie de lâintelligence. Mais le cĆur a besoin de chercher sa vie dans le cĆur de ses semblables, et quand on en est arrivĂ© comme moi Ă la vieillesse avec de si tristes expĂ©riences, quand, sur un si grand nombre dâĂȘtres que lâon a rencontrĂ©s et observĂ©s, la liste de ceux quâon peut vraiment estimer et chĂ©rir est si courte, câest une immense satisfaction que de pouvoir encore joindre une affection sans ombre et sans mĂ©lange dâalliage aux rares trĂ©sors quâon a dĂ©couverts et conservĂ©s. Vous voilĂ arrivĂ©, mon enfant, Ă cet Ăąge de maturitĂ© oĂč lâon est encore dans toute la fraĂźcheur de ses impressions, mais oĂč le jugement et ce que Leroux appelle la connaissance Ă©clairent les sentimens et les instincts. Eh bien, vous avez vraiment votre Ăąge, et câest le meilleur Ă©loge que je puisse faire de vous car les hommes Ă©levĂ©s dans le monde, au sein des lumiĂšres et des jouissances, sont toujours ou en avant ou en arriĂšre de la phase quâils traversent. Vous me faites lâeffet, auprĂšs dâeux, dâune note juste au milieu dâun charivari. Je savais bien que cette note juste devait se trouver dans lâĂąme dâun homme du peuple, le jour oĂč lâintelligence viendrait Ă se mettre en rapport avec le cĆur dans un tel homme. Quand jâai tracĂ© le caractĂšre de Pierre Huguenin[18], je savais bien que la bourgeoisie et la noblesse lâaccueilleraient avec un immense Ă©clat de rire, parce que je savais bien aussi que Pierre Huguenin ne sâĂ©tait pas manifestĂ© encore. Mais jâĂ©tais sĂ»re quâil Ă©tait nĂ©, quâil existait quelque part ; et, quand on me disait quâil fallait lâattendre encore deux ou trois cents ans, je ne mâinquiĂ©tais nullement. Je savais que ce serait lâaffaire de quelques annĂ©es seulement, et quâun prolĂ©taire ne tarderait pas Ă ĂȘtre un homme complet, en dĂ©pit de tout ce que les lois, les prĂ©jugĂ©s et les coutumes apporteraient dâobstacles Ă son dĂ©veloppement. Maintenant, je ne dis pas que vous soyez un personnage de roman nommĂ© Pierre Huguenin. Vous ĂȘtes beaucoup plus que cela, et je ne cherche pas Ă vous embellir en vous appliquant la forme dâune de mes fictions. Je nây songe pas. Vous savez que je me souviens peu de la forme et du dĂ©tail de mes compositions. Mais ce que je me rappelle, câest la conviction que les a fait naĂźtre. Câest que jâai regardĂ© comme certaine la possibilitĂ© dâun prolĂ©taire Ă©gal par lâintelligence aux hommes des classes privilĂ©giĂ©es, apportant au milieu dâeux les antiques vertus, et la force virtuelle de sa race. Jusquâici jâavais vu des Ă©clairs traverser lâhorizon, et sâobscurcir sous de gros nuages, parfois fort vilains, comme notre ami Savinien par exemple. Mais ce qui consternait lâĂąme dĂ©licate et exquise de CâŠ[19]ne mâĂ©branlait nullement. Depuis longtemps jâai appris Ă attendre, et je nâai pas attendu en vain. Pierre Huguenin est restĂ© parmi les fictions, mais lâidĂ©e qui mâa fait rencontrer Pierre Huguenin nâen Ă©tait pas moins une conception de la vĂ©ritĂ©. Vous ĂȘtes autre, et vous ĂȘtes mieux. Vous ĂȘtes poĂšte, donc vous ĂȘtes plus richement douĂ©, et vous ĂȘtes bien plus homme que lui. Vous nâavez pas cherchĂ© lâidĂ©al de lâamour dans une caste ennemie. Tout jeune, vous avez aimĂ© votre Ă©gale, votre sĆur, et vous nâavez pas eu besoin du prestige des faux biens et de la fausse supĂ©rioritĂ© pour vous Ă©prendre de la simplicitĂ©, de la candeur, de la beautĂ© vraie. Vous voyez aussi loin que lui, et vous puisez vos joies, vos Ă©motions, votre force dans un milieu plus rĂ©el et plus sain. VoilĂ comment les utopies se rĂ©alisent. Câest toujours autrement, et mieux. Câest lĂ une magnifique preuve de Dieu, que nous pouvons constater Ă chaque phase de la vie de lâhumanitĂ© quoique le vulgaire nây prenne pas garde. Quelquâun conçoit un idĂ©al, on en rit, et on lui pardonne, en disant Câest beau, mais trop beau. Puis les temps marchent, les faits sâaccomplissent, et il arrive que lâidĂ©al est dĂ©passĂ©. Les hommes alors comparent, et se retournent en souriant vers la prĂ©diction. Ils sâĂ©tonnent de la trouver si timide, et pardonnent alors Ă son peu dâampleur, Ă cause de la bonne intention ce qui ne les empĂȘche pas, les enfans quâils sont, de recommencer Ă railler toute prĂ©diction nouvelle. Cela est vrai pour les plus grandes choses comme pour les plus petites. Mais quiconque regarde lâhistoire intellectuelle et morale du genre humain arrive Ă un grand calme et Ă une foi inĂ©branlables. Alors vient le courage de rĂȘver tout haut, et câest un courage qui demande plus dâhumilitĂ© quâon ne pense, car le croyant sait bien que son rĂȘve sera pauvre et bornĂ© au prix de lâinvention infinie du grand artiste qui rĂ©alise Dieu ! Jâen ai bien davantage Ă vous dire, sur vous et sur le temps oĂč nous vivons ; mais je veux que vous receviez ma bĂ©nĂ©diction maternelle, en recevant les caresses de votre femme et de votre enfant. Lâheure passe ; je ferme ma lettre pour la reprendre bientĂŽt. Donnez-leur un tendre baiser pour moi, et pour tous les miens. Je vous aime, mes enfans, je ne puis vous rien dire de mieux et de plus vrai. » 24 nov. 1845. Noble et tendre lettre, deux fois attachante, et par lâĂ©lĂ©vation des sentimens quâelle respire, et par la pleine lumiĂšre quâelle verse sur la conception mĂȘme des romans socialistes de George Sand. Lâamour du peuple, devenu chez elle passion, crĂ©e une Ă©motion intellectuelle qui, Ă son tour, met en branle sa riche imagination et la lance sur les routes de lâhumanitĂ© future, idĂ©ale. Elle anticipe cette fĂ©licitĂ© par les crĂ©ations de son gĂ©nĂ©reux cerveau ; ses personnages, rĂȘvĂ©s, non rĂ©els elle le confessa, marchent en avant de leur siĂšcle, comme les modĂšles lumineux propres Ă Ă©clairer les gĂ©nĂ©rations tĂątonnantes ce sont des annonciateurs plus que des hommes. Et voici que, le rĂȘve Ă peine tracĂ© dans lâinfini devenir, la rĂ©alitĂ© tout Ă coup le formule ; mĂȘme, sâil faut en croire George Sand, â un peu trop intĂ©ressĂ©e Ă cette interprĂ©tation, â elle le dĂ©passe. Quâest-ce Ă dire, sinon que rĂȘve et rĂ©alitĂ©, vĂ©ritĂ© et poĂ©sie, apparaissent Ă cette heure de lâĂąme française comme magnifiquement confondus, et que nulle part ils ne se confondent en une plus pleine harmonie que dans le cĆur, dans lâesprit, dans les romans de George Sand ? Dâailleurs, il faudrait se garder, dans les Ćuvres les plus Ă©tranges de cette pĂ©riode, de rĂ©duire la part de rĂ©alitĂ© quâelles renferment. Ce serait leur mĂ©connaĂźtre une valeur de tĂ©moins » quâelles ont Ă un trĂšs haut degrĂ©. George Sand, comme son maĂźtre Rousseau, est profondĂ©ment imprĂ©gnĂ©e de la rĂ©alitĂ© ambiante quand elle Ă©crit le Compagnon du Tour de France ; la Nouvelle HĂ©loĂŻse nâen est pas plus pĂ©nĂ©trĂ©e. Et cette rĂ©alitĂ© mĂȘme, ici comme lĂ , est le ferment actif qui, dĂ©posĂ© dans un cerveau naturellement idĂ©aliste et dans une Ăąme naturellement passionnĂ©e, y produit cet enfantement chaleureux et splendide qui est celui du pur amour. Dâailleurs, lâexaltation tombĂ©e, reste la vue nette des choses. Dans ce passage, empreint du calme attendri qui est au fond la vraie George Sand, il est remarquable de voir avec quelle prĂ©cision elle dĂ©finit son espĂ©rance, mĂȘme sa foi Jâai regardĂ© comme certaine la possibilitĂ© dâun prolĂ©taire Ă©gal par lâintelligence aux hommes des classes privilĂ©giĂ©es, apportant au milieu dâeux les antiques vertus, et la force virtuelle de sa race. » Et la production rapide de ce prolĂ©taire homme complet, spĂ©cimen parfait dâhumanitĂ© future, fortifie sa foi en Dieu, en un Dieu qui nâest point simplement, â ce quâon a trop dit, â le Dieu de BĂ©ranger et des bonnes gens. Patience, calme, croyance inĂ©branlables, voilĂ ce quâelle professe, ce quâelle professera toujours. Depuis longtemps jâai appris Ă attendre. » Ce dont elle est sĂ»re câest que, lorsquâon attend dans un certain Ă©tat de ferveur, on nâattend pas en vain. Elle aussi, comme le vieil HomĂšre, pense que les priĂšres boiteuses des mortels atteignent un jour la divinitĂ© et lâinclinent vers nous ; et, sereine, elle attend, elle attendra toujours, parce quâelle croit. Poncy Ă©tait-il donc supĂ©rieur Ă son Pierre Huguenin ? Elle affirme, il est vrai, que, quand les utopies se rĂ©alisent, câest toujours autrement, et mieux. » Mais ne comparons pas cet ouvrier dĂ©jĂ trĂšs frottĂ© de littĂ©rature Ă un personnage de roman. Il Ă©tait lui-mĂȘme un composĂ© sympathique et charmant tel que le Midi en fait Ă©clore, de prĂ©fĂ©rence par une journĂ©e de soleil sans mistral. Une Ăąme gracieuse et vibrante, une conversation animĂ©e, spirituelle ; un tact exquis ; une absolue dĂ©licatesse en toutes choses et des maniĂšres Ă la fois populaires el instinctivement distinguĂ©es, qui le faisaient trouver partout Ă sa place. Solange, juge parfois acerbe des illusions de sa mĂšre, note ceci, de ce crayon qui visait probablement un peu la postĂ©ritĂ© DĂ©vouement cette fois bien placĂ© cette fois est une perle. Poncy Ă©tait un cĆur dâor, un esprit dâĂ©lite, â et lâhomme le plus honorable, lâami le plus sĂ»r, lâĂąme la plus pure. FidĂšle, dĂ©vouĂ©, intact. » Intact. Le mol doit rester. Et câest parce quâelle le sentait tel, que George Sand, Ă cette premiĂšre lettre tranquille et sereine, en ajoute dĂšs le lendemain une seconde, plus polĂ©mique, Ă©cho des luttes dĂ©jĂ soutenues, et symptĂŽme de celles qui se prĂ©parent Nous vivons encore dans le temps oĂč les races sont comme distinctes, oĂč elles se craignent et se jalousent quand elles ne se haĂŻssent pas. Câest bien Ă©trange aprĂšs 93, et câest pourtant comme cela. A Venise, le peuple dit encore dans son dialecte, en parlant des nobles, el sangue blĂč. En Espagne, presque tout le monde se dit noble ; et je ne sais si lâon trouve un paysan qui comprenne oĂč serait sa vraie noblesse de race. En Angleterre, oĂč lâon a parlĂ© de libertĂ© avant nous, on pratique encore assez tranquillement le rĂ©gime fĂ©odal. Ailleurs, lâhomme sans aĂŻeux et sans fortune est serf. Ici, nous nâavons plus que la chimĂšre de la noblesse en gĂ©nĂ©ral ; lâaristocratie nouvelle se dit sans prĂ©jugĂ©s ; mais elle se retranche dans la vanitĂ© de sa prĂ©tendue Ă©ducation, et, quand elle caresse lâhomme du peuple, câest encore avec un sentiment de protection, quand ce nâest pas avec un secret instinct de crainte. Et câest tout simple, au fond. Elle sent sous sa main un ĂȘtre plus faible et plus fort ; plus faible en gĂ©nĂ©ral par le raisonnement ; plus Ă©nergique et plus violent par les instincts. Et le bourgeois, qui ne sent pas au fond de son cĆur un amour brĂ»lant pour lâhumanitĂ© ou un courage hĂ©roĂŻque pour se dĂ©vouer Ă elle, souffre dâune certaine honte Ă la vue de cet ĂȘtre dont les dĂ©fauts, lâignorance et le malheur condamnent ses thĂ©ories dâĂ©galitĂ© sagement progressive, comme ils disent. Tout ce que P. Leroux disait lâautre soir Ă propos du National et des politiques sans idĂ©es sociales Ă©tait profondĂ©ment vrai. Ces bourgeois libĂ©raux nâont pas les entrailles quâil faudrait, et leur prĂ©tendue dĂ©mocratie est un systĂšme de tutelle et de conservation mal fardĂ©e du passĂ©. Mais laissons-les ; que nous importe ? Leur rĂšgne nâest pas destinĂ© Ă durer aussi longtemps que celui de lâancienne aristocratie. Ils nâont pour eux quâun fait prĂȘt Ă disparaĂźtre, puisque le peuple sâĂ©veille vite, que, malgrĂ© la torpeur de ses prĂ©tendus tuteurs, il commence comme un aigle au bord du nid Ă agiter ses fortes ailes et Ă en secouer la poussiĂšre. Maintenant, les bourgeois reconnaĂźtront peu Ă peu quâil faut faire place, non pas seulement Ă quelques parvenus dont lâintelligence a effacĂ© lâorigine et qui viennent sâasseoir Ă leur banquet, mais Ă des hommes plus fiers et plus forts qui, sans se dĂ©guiser en bourgeois et sans chercher Ă donner Ă leur sang la teinture bleue, auront autant de valeur et dâinfluence vĂ©ritable sur les esprits que les rhĂ©toriciens et les graduĂ©s sortis des collĂšges. A ceux-lĂ il faudra de plus larges et de plus nobles places que les distinctions et les traitemens pĂ©cuniaires. Il leur faudra place au soleil de la renommĂ©e sĂ©rieuse et de lâestime publique. Il ne sera pas toujours si facile, ni si joli de sâen moquer ; et quand un de ces hommes touchera aux idĂ©es de son temps, il y laissera une empreinte plus franche et plus profonde que tous ces beaux discoureurs qui prĂ©tendent savoir tant de choses, mais qui, apparemment, nâen savent on nâen veulent aucune bonne. Vous ĂȘtes le premier de ces hommes nouveaux, mon cher enfant. Vous voilĂ arrivant, en Ă©claireur vĂ©ritable et ouvrant un chemin⊠» etc. La lettre entiĂšre a neuf pages, et celle de la veille en avait cinq ! 25 nov. 1845. Ici apparaĂźt lâillusion. Poncy nâouvrait aucun chemin. Poncy nâĂ©tait pas Ă vrai dire un homme nouveau, » le rĂŽle de porte-flambeau ne lui convenait guĂšre. On ne pouvait le voir ainsi quâĂ travers un persistant mirage, ou par ces veillĂ©es de travail qui transfigurent toutes choses Ma lampe sâĂ©teint, et le jour approche⊠Je ne peux pas dater, je ne sais ni le jour, ni lâheure. » Le Poncy auquel sâadressent de telles lignes est, comme elles, en marge du temps et de lâheure ; ce nâest pas le vrai Poncy, lequel Ă©tait plus modeste dâenvergure, et reprĂ©sentatif » Ă un degrĂ© simplement moyen. Mais ce nâĂ©tait nullement lâĂ©claireur » attendu. Le mirage de George Sand nâen est pas moins Ă noter, puisquâon voit grĂące Ă lui que, pour elle, autre chose quâune question littĂ©raire Ă©tait en cause. La poĂ©sie, câest lâoccasion. Ce que voit George Sand Ă travers Poncy, câest dâabord et avant tout la propagande. Et, si elle a jetĂ© les yeux sur lui de prĂ©fĂ©rence, câest quâil lui a semblĂ© le plus digne jusquâici, le plus indemne, le plus intact, » des fils du peuple que la littĂ©rature prolĂ©taire le seul vĂ©hicule alors connu lui eĂ»t rĂ©vĂ©lĂ©s. DĂšs quâelle lâa vu, dĂšs quâelle a eu le contact Ă Nohant, elle le charge dâĂȘtre le missionnaire de la bonne parole. Ne connaĂźt-il pas, Ă Toulon, quelques jeunes officiers de marine gagnĂ©s aux idĂ©es libĂ©rales ? Ne peut-il, sur son chantier dâentrepreneur, â car sa situation commence Ă sâagrandir, â ou sur les chantiers voisins, faire pĂ©nĂ©trer les idĂ©es de Pierre Leroux et de Louis Blanc dans le cerveau des travailleurs ? Et elle lui envoie dissertations sur brochures, livres sur revues, programmes sur prospectus. Le chantier socialiste chĂŽmait moins encore que lâautre. Et cette activitĂ© infatigable de George Sand serait admirable, si elle nâĂ©tait illusoire. Car Poncy, malgrĂ© tout son zĂšle Ă suivre le mouvement, semble avoir Ă©tĂ© un apĂŽtre mĂ©diocre, et nâavait, en tout cas, rien dâun rĂ©volutionnaire. MĂȘme, ĂŽ ironie des choses ! Solange, qui lâa beaucoup connu et beaucoup aimĂ©, le taxe quelque part de conservateur. » Des deux, le bourgeois aurait-il donc Ă©tĂ© lâouvrier ? La question, si bizarre quâelle paraisse, peut cependant ĂȘtre posĂ©e. Quoiquâil en soit, depuis quâelle a vu Poncy, George Sand ne rĂȘve plus que de le rattacher, peu ou prou, Ă lâorbite de Nohant. Câest un Ă©lĂ©ment nouveau de vie quâelle voudrait verser dans ce microcosme dâart et de nature qui lâentoure, et quâelle rĂšgle, anime, enrichit, diversifie Ă son grĂ©, suivant les lois secrĂštes et les instincts de son pouvoir de crĂ©ation. Nohant, dĂšs lors, est bien un petit univers en abrĂ©gĂ©, une ruche artiste, une sorte de laboratoire social, et lâon y respire une atmosphĂšre spĂ©ciale, celle qui est nĂ©cessaire au gĂ©nie de George Sand pour quâil soit fĂ©cond. Sans doute Toulon est loin, et Poncy ne peut ĂȘtre un satellite habituel de la plĂ©iade berrichonne. Cependant il y a des mortes-saisons, qui seront vivantes Ă Nohant, si Poncy le veut ; et mĂȘme productives, ou du moins capables dâindemnitĂ©s, si Poncy veut y consentir. Car George Sand, avec sa bontĂ© maternelle, sait bien quâon ne dĂ©mĂ©nage point un travailleur avec femme et enfant sans lui offrir au moins lâĂ©quivalent de son gagne-pain. Mais justement ! Nohant a besoin de rĂ©parations câest le cas dâajouter une aile Ă la bĂątisse ! Et voilĂ George Sand faisant des plans admirables, en dĂ©pit de son budget. Un certain projet de calorifĂšre, surtout, qui broche Ă tout instant sur le sĂ©rieux et le lyrique de la correspondance, a une beautĂ© quâen tout sens on peut qualifier dâhomĂ©rique. Câest dĂ©jĂ la bonne dame de Nohant, et il y a de la grandâmĂšre dans cette femme de quarante ans. Voici cependant la fĂ©licitĂ© quâelle se forge, si Poncy venait Ă Nohant On courra les champs le dimanche et les jardins le soir. On dĂźnera ensemble, chacun ayant fait sa tĂąche ; Maurice, en blouse berrichonne, apportant des croquis dâaprĂšs nature ; moi, ayant fait mon chapitre de roman ; vous, ayant remuĂ© des pierres et des hĂ©mistiches ; Chopin ayant composĂ© des mazurkes et des mĂ©lodies dĂ©chirantes ou mĂ©lancoliques, selon lâintensitĂ© du soleil ; DĂ©sirĂ©e ayant soignĂ© son petit amour ; et ma Solange Ă moi, la plus paresseuse de tous, ayant Ă©reintĂ© son cheval noir ou dĂ©chirĂ© son voile aux buissons. Voyons, est-ce que nous nâaurons pas une heureuse vie, nous complĂ©tant les uns par les autres, et ne serez-vous pas le plus utile de la famille, vous qui nous bĂątirez une demeure matĂ©rielle, en nous donnant aussi les jouissances du cĆur et les dĂ©lices de la poĂ©sie ? Je crois bien que vous serez proclamĂ© le chef de notre rĂ©publique, puisque vous serez Ă la fois la pensĂ©e et le pouvoir exĂ©cutif du gouvernement. Dites-moi que vous acceptez⊠» 6 janvier 1846. Mais Poncy soulevait objection sur objection. Poncy, trop dĂ©licat pour accepter, » note le crayon de Solange, dĂ©cidĂ©ment lapidaire. Et, Ă vrai dire, bien des obstacles se dressaient. George Sand, dâailleurs, abondait avec ses amis en invitations inacceptables, et quâelle Ă©tait parfois embarrassĂ©e de tenir, vu les multiples exigences de son travail. Poncy devait bientĂŽt en faire lâexpĂ©rience. Aussi ses visites Ă Nohant furent-elles forcĂ©ment espacĂ©es. Les Ă©vĂ©nemens vont dâailleurs mettre Ă ces projets de rĂ©union plus dâune barriĂšre, sans parler des soucis domestiques, cĂŽtĂ© Nohant et mĂȘme cĂŽtĂ© Toulon. CĂŽtĂ© Toulon, les annĂ©es 1846 et 1847 furent marquĂ©es par deux accidens en mai 1846, Poncy reçut dans la mĂąchoire la ruade dâun cheval de soldat, et tout son organisme fut longtemps Ă©branlĂ©. En aoĂ»t 1847, il fut mordu par un chien quâon crut enragĂ©. George Sand calma de son mieux ses transes. Heureusement, le chien fut reconnu non hydrophobe. CĂŽtĂ© Nohant, les prĂ©occupations furent tout Ă fait sĂ©rieuses, et de tout ordre maternelles, intimes, morales, physiques, en attendant de devenir financiĂšres. Nous en avons touchĂ© un mot ailleurs[20]. Ce furent deux annĂ©es trĂšs cruelles, dont George Sand garda longtemps la brĂ»lure au cĆur. Au printemps de 1846, Chopin Ă©tait malade, et une amie fidĂšle, Mme Marliani, en danger de mort. George Sand, alors Ă Paris, se multipliait. Chopin a Ă©tĂ© malade, peu dangereusement, Dieu merci, mais ayant toujours besoin de beaucoup de soins. Et pendant ce temps, une excellente amie Ă moi Ă©tait Ă lâagonie. Nous avions perdu tout espoir, jâĂ©tais navrĂ©e ; jây passais les nuits ; le jour, jâallais dâun malade Ă lâautre. Enfin, mon amie est sauvĂ©e, et Chopin est guĂ©ri. Jâai Ă©tĂ© malade moi-mĂȘme Ă la suite de tout cela. » 22 avril 1846. Puis ce sont dâautres alertes Solange tombe dans un Ă©tat de langueur inquiĂ©tant. Sa mĂšre la soigne, la guĂ©rit. LĂ -dessus elle se fiance avec Fernand de Preaulx, pour rompre presque aussitĂŽt ce mariage. Elle sâest Ă©prise sur ces entrefaites de ClĂ©singer, et force la main Ă sa mĂšre que ce projet alarmait Ă juste titre. George Sand est si troublĂ©e son Ă©criture agitĂ©e en tĂ©moigne quâelle tutoie subitement Poncy ⊠Jâai du chagrin moi-mĂȘme, beaucoup de chagrin, Solange nâa plus voulu Ă©pouser lâhomme qui lâaimait. Elle a Ă©tĂ© inconsĂ©quente, et un peu dure. Jâai respectĂ© son indĂ©pendance comme une chose sacrĂ©e, mais je nâaurais pas agi comme elle ; jâai souffert, je souffre encore. Je crains que lâorgueil ne joue un plus grand rĂŽle dans sa vie que la tendresse et le dĂ©vouement. Quelle quâelle soit, sa force et sa volontĂ© sont Ćuvres de Dieu, et je ne chercherai jamais Ă les briser. Je te conterai tout cela, ce serait trop long dans une lettre⊠Je mâaperçois en finissant ma lettre que je vous ai tutoyĂ© contre mon habitude. Cela mâest venu naturellement, comme si jâĂ©crivais 5 mon fils. Et je ne tâen demande pas pardon. » 5 avril 1847. Ce tutoiement devait dâailleurs disparaĂźtre quelques mois aprĂšs, comme il Ă©tait venu. Ce qui ne disparaissait pas, câĂ©tait le chagrin. Il avait fallu rompre avec Chopin, devenu dĂ©sormais un obstacle Ă la paix domestique. Et un second mariage, dans lâentourage immĂ©diat de George Sand, avait Ă©tĂ© brusquement et cruellement rompu. La filleule de George Sand, Augustine Brault, qui avait dĂ» Ă©pouser le grand artiste ThĂ©odore Rousseau, sâen vit subitement abandonnĂ©e. LâĂ©motion fut profonde Ă Nohant, et le contre-coup en atteignit Maurice lui-mĂȘme. Peu aprĂšs, heureusement, Augustine fut fiancĂ©e Ă M. de Bertholdi ; George Sand la dota. Le mariage de Solange avait fortement entamĂ© ses finances, celui dâAugustine les Ă©puisa. Poncy, invitĂ© sur ces entrefaites, dut rebrousser chemin sur un contre-ordre arrivĂ© trop tard. Il se plaignit. George Sand sâexcuse, en lui faisant le bilan de cette triste annĂ©e Avec toi, comme avec presque tout, cette annĂ©e, je joue de malheur ; car ce chagrin la rupture du mariage dâAugustine nâa pas Ă©tĂ© le seul, et ta lettre dâaujourdâhui a Ă©tĂ© la derniĂšre goutte dans cette coupe dâamertume que je savoure. Il semble que tout ce que jâaime doive souffrir Ă cause de moi, ou que jâaie perdu lâĂ©toile qui me faisait les guider vers le succĂšs. Ce nâest pas faute de les chĂ©rir, mon Dieu ! et dâoffrir Ă la destinĂ©e ma vie et mon Ăąme pour eux, pour toi comme pour mes enfans, mon cher poĂšte !⊠â Nous y avons tous passĂ©. En sortirons-nous ? mes enfans, vous voyez ! Plaignez-moi un peu, et aimez-moi beaucoup jâen ai grand besoin ! » 15 juin 1847. MĂȘme note, deux mois aprĂšs, tant la crise fut longue, aiguĂ«. Elle rĂ©capitule ses tristesses rĂ©centes, et insiste sur lâattitude de Solange vis-Ă -vis dâelle Le mal lâa emportĂ© dans une Ăąme dont jâaurais voulu faire le sanctuaire et le foyer du beau et du bien. A prĂ©sent, je lutte contre moi-mĂȘme pour ne pas me laisser mourir[21]. » 9 aoĂ»t 1847. Elle lutte de toute la force morale de son viril courage ; elle lutte par le travail aussi, son spĂ©cifique souverain. Non quâelle puisse en ce sens aller aussi loin que Montesquieu, qui Ă©crit LâĂ©tude a Ă©tĂ© pour moi le souverain remĂšde contre les dĂ©goĂ»ts de la vie, nâayant jamais eu de chagrin quâune heure de lecture nâait dissipĂ© ! » Mais la passion du travail, quâelle a toujours pu satisfaire au sein des pires Ă©preuves, lui est un cordial puissant. MalgrĂ© tant de traverses, elle Ă©crit en 1846 la Mare au Diable, les Noces de Campagne et Lucrezia Floriani ; le charmant Piccinino, le tendre François le Champi, se composent et se brodent, » en quelque sorte, parmi les dĂ©sespoirs de lâannĂ©e 1847, et elle entame lâHistoire de ma vie. Poncy, dĂ©sormais spectateur intime, quoique lointain, de cette extraordinaire existence, en suit les Ă©vĂ©nemens au fil des jours, car câest un besoin pour George Sand de se raconter Ă ses amis Ă©prouvĂ©s sans doute parce quâ Ă raconter ses maux souvent on les soulage, » mais aussi parce quâelle est nĂ©e conteuse, que sa vie est le roman mĂȘme, et quâentre son existence, Ă elle, et celle des romans quâelle imagine, elle ne voit pas de diffĂ©rence essentielle. Et, de fait, il nây en a pas. Tous ces accidens domestiques la tiennent plus Ă©loignĂ©e de Paris que de coutume. Jâai un peu perdu lâair qui souffle sur Paris et sur le public. Je vis dans une coquille, » Ă©crit-elle Ă Poncy, le 14 dĂ©cembre 1847. Cependant, Ă Paris, les Ă©vĂ©nemens se prĂ©cipitaient. Lâorage, longtemps couvĂ©, menaçait dâĂ©clater. CâĂ©tait, en juillet 1847, la propagande rĂ©formiste des banquets ; puis le discours radical de Ledru-Rollin Ă Lille ; bientĂŽt aprĂšs, la retraite du marĂ©chal Soult, et la prĂ©sidence du Cabinet dĂ©volue Ă Guizot. DĂšs le dĂ©but de la session 28 dĂ©cembre 1847, le discours du trĂŽne accuse les passions aveugles ou ennemies. » Les Ă©vĂ©nemens dâItalie surexcitent les passions rĂ©formistes. La discussion sur le droit de rĂ©union, lâaffaire du banquet du XIIe arrondissement, sont la premiĂšre Ă©tincelle. Et tout Ă coup, le 9 mars 1848, Poncy reçoit une fulgurante lettre avec cette suscription Au citoyen Charles Poncy Vive la RĂ©publique !⊠on est fou, on est ivre, on est heureux de sâĂȘtre endormi dans la fange, et de se rĂ©veiller dans les cieux ! » etc.[22]. Les temps sont accomplis. Câest la trompette de la rĂ©volution de FĂ©vrier. RessuscitĂ©e, galvanisĂ©e, George Sand est accourue auprĂšs de ses amis, pour les seconder. Câest de Paris quâelle envoie Ă son poĂšte, â pardon ! au citoyen » Poncy, â des lettres enflammĂ©es qui ressemblent Ă des Bulletins de la grande armĂ©e dĂ©mocratique. Elle peut se mettre aujourdâhui Ă la fenĂȘtre que voit-elle dans la rue ? ses romans qui passent. MĂȘme elle y descendra un instant, pour se mĂȘler aux rangs du peuple, et de la sainte canaille. » SAMUEL ROCHEBLAVE. â Leçons professĂ©es Ă la SociĂ©tĂ© des ConfĂ©rences, par M. RenĂ© Doumic George Sand, 1 vol. in-16, Perrin. â ConfĂ©rences de Mlle A. de Rothmaler Ă Luxembourg, et au Cercle artistique de Bruxelles Voyez lâArt moderne, 31 janvier et 7 fĂ©vrier 1909. â George Sand et sa fille. Voyez la Revue des 15 fĂ©vrier, 1er mars et 15 mai 1905. â Revue des Deux Mondes, annĂ©e 1838. â Revue IndĂ©pendante, n° 1, novembre 1841, janvier 1842, septembre 1842. â Du 27 avril 1842 au 3 avril 1876. La correspondance entiĂšre contient 226 lettres. Il en a paru 39 seulement, dans les six volumes de la Correspondance de George Sand. â Paris, 27 avril 1842 Corresp. de George Sand, t. II, p. 198. â Toutes les citations qui ne portent pas de renvoi Ă la Correspondance imprimĂ©e sont empruntĂ©es aux lettres inĂ©dites. â Directeurs-propriĂ©taires de la Revue IndĂ©pendante. â Câest ici, pourtant, que se trouve le germe de lâHistoire de ma vie, commencĂ©e quatre ans plus tard. â Consuelo venait de paraĂźtre dans la Revue IndĂ©pendante, de fĂ©vrier 1842 Ă mars 1842. George Sand Ă©crivait alors la fin de la Comtesse de Rudolstadt, qui paraissait dans le mĂȘme recueil depuis le 25 juin 1843, et dont la fin est sous 1er date du 10 fĂ©vrier 1844. â Ami de Poncy Ă Paris, qui secondait George Sand de son zĂšle en faveur du poĂšte. â Une voix dâen bas, titre du premier recueil de vers de Savinien Lapointe 1844. â Les lettres de George Sand Ă Poncy ont longtemps Ă©tĂ© entre les mains de Solange avant de passer dans les nĂŽtres. â Allusion Ă ses deux Lettres Ă Lerminier Ă propos du Livre du Peuple, de Lamennais. â Les quatre premiers sont quatre poĂštes-ouvriers voyez François Gimet, les Muses prolĂ©taires 1856 ; â EugĂšne Baillet, De quelques ouvriers-poĂštes 1898, etc â Agricol Perdiguier, dit Avignonnais la Vertu, auteur dâun ouvrage sur le compagnonnage dont George Sand sâest servie pour Ă©crire le Compagnon du Tour de France. â Eug. Baillet, De quelques ouvriers-poĂštes, p. 104. â Dans le Compagnon du Tour de France. â Solange Ă©crit ici, de son crayon documentaire Chopin. â Une autre annotation nous le montre aristocrate dans lâĂąme, et nous donne Ă penser que, tant quâil Ă©tait Ă Nohant, George Sand craignait des froissemens en invitant Poncy. â George Sand et sa fille, chap. II. â Corresp., t. II, p. 372. â Corresp., t. III, p. 9.
eCrIvj0. 349 124 58 94 1 43 315 369 307
lettre de george sand Ă son fils