Cest pour soutenir cette rĂ©daction de l'article que Victor Hugo intervient « Ă  l'improviste », mais il ne parvient pas Ă  la faire adopter. Les amendements sont rejetĂ©s par 498 voix contre 216. Victor Hugo poursuivra ce combat jusqu'Ă  sa mort. Lors de l'exil, il mĂšnera une campagne auprĂšs de la population de Guernesey pour la ï»żNe dites pas mourir ; dites naĂźtre. Croyez. On voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l’homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ; On tĂąche d’oublier le bas, la fin, l’écueil, La sombre Ă©galitĂ© du mal et du cercueil ; Quoique le plus petit vaille le plus prospĂšre ; Car tous les hommes sont les fils du mĂȘme pĂšre ; Ils sont la mĂȘme larme et sortent du mĂȘme Ɠil. On vit, usant ses jours Ă  se remplir d’orgueil ; On marche, on court, on rĂȘve, on souffre, on penche, on tombe, On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe. OĂč suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu, Impur, hideux, nouĂ© des mille nƓuds funĂšbres De ses torts, de ses maux honteux, de ses tĂ©nĂšbres ; Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est bĂ©ni, Sans voir la main d’oĂč tombe Ă  notre Ăąme mĂ©chante L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant, Tout notre ĂȘtre frĂ©mit de la dĂ©faite Ă©trange Du monstre qui devient dans la lumiĂšre un ange. Au dolmen de la tour Blanche, jour des Morts, novembre 1854.
LƓuvre : Les Contemplations, livres I Ă  IV, 1856. Le recueil poĂ©tique Les Contemplations est Ă©crit par Victor Hugo en exil et publiĂ© en avril 1856. OrganisĂ© en deux parties, le recueil traite surtout du deuil. En effet, en 1843, Victor Hugo perd sa fille LĂ©opoldine. Dans ce recueil, il aborde avec lyrisme la mort et le chagrin.
L’Ɠuvre fleuve de Victor Hugo met le gĂ©nie littĂ©raire au service de la dĂ©fense d’une humanitĂ© broyĂ©e par l’injustice. Elle donne une postĂ©ritĂ© aux damnĂ©s de la terre et de la mer. Leurs cris n’ont pas fini de rĂ©sonner. Victor Hugo. - Janvier 2016. Un camp de roms sous la passerelle du boulevard Ney, Ă  Paris. 400 personnes vivent alors le long de cette ancienne voie de chemin de fer, oĂč le souvenir napolĂ©onien tutoie une misĂšre bien actuelle. - RĂ©cit - Journaliste au service Forum PubliĂ© le 14/10/2021 Ă  1903 Temps de lecture 10 min En 1848, Victor Hugo monte Ă  la tribune de l’AssemblĂ©e nationale constituante. Il lance aux parlementaires de la toute neuve DeuxiĂšme RĂ©publique française Le XVIIIe siĂšcle a aboli la torture, le XIXe siĂšcle abolira sans doute la peine de mort ». Chez Victor Hugo, Robert Badinter aime retrouver l’étincelle du combat qu’il a emportĂ© il y a tout juste quarante ans, alors que la peine de mort trouvait encore un large appui dans l’opinion publique française. Le 9 octobre 1981, le Journal officiel publiait la loi qui abolissait la peine capitale. L’avocat Badinter devenu Garde des Sceaux venait de gagner sa plus belle plaidoirie, une victoire emblĂ©matique de l’ùre Mitterrand. Lors de rĂ©centes commĂ©morations organisĂ©es au PanthĂ©on, Emmanuel Macron s’est engagĂ© Ă  relancer le combat pour l’abolition universelle », au plan mondial donc, avec une rencontre au plus haut niveau », dĂ©but 2022. Ce n’est bien sĂ»r pas Victor Hugo qui a inventĂ© » l’abolition de la peine de mort. Il est question de tordre le cou Ă  l’application la plus extrĂȘme de la loi du Talion depuis le milieu du XVIIIe siĂšcle, moment oĂč le juriste Cesare Beccaria Bonesana mit en doute l’efficacitĂ© de l’exĂ©cution capitale dans Des DĂ©lits et des Peines. Il me paraĂźt absurde que les lois, qui sont l’expression de la volontĂ© publique, qui dĂ©testent et punissent l’homicide, en commettent un elles-mĂȘmes, et que pour Ă©loigner les citoyens de l’assassinat, elles ordonnent un assassinat public », Ă©crit ce Milanais qui prĂ©fĂšre l’esclavage perpĂ©tuel Ă  la mort. L’idĂ©e fait son bonhomme de chemin dans diffĂ©rents cĂ©nacles. En 1768, le grand-duchĂ© de Toscane abolit la peine capitale. Le royaume de Tahiti en fera de mĂȘme en 1824. Le signe spĂ©cial et Ă©ternel de la barbarie » Mais la France du docteur Guillotin, elle, n’est pas prĂšs de ranger la veuve » au musĂ©e. Le 15 septembre 1848, lorsque Victor Hugo prononce son discours abolitionniste devant la Constituante, la peine capitale va de dĂ©bats en dĂ©boires. Le moment est nĂ©anmoins important, car il s’agit de donner Ă  la trĂšs brĂšve DeuxiĂšme RĂ©publique sa Constitution Qu’est-ce que la peine de mort ?, lance Ă  ses pairs l’écrivain devenu parlementaire. La peine de mort est le signe spĂ©cial et Ă©ternel de la barbarie. Partout oĂč la peine de mort est prodiguĂ©e, la barbarie domine ; partout oĂč la peine de mort est rare, la civilisation rĂšgne. Ce sont lĂ  des faits incontestables. » Hugo reproche Ă  ses opposants de vouloir continuer Ă  exĂ©cuter les criminels de droit commun. Je vote l’abolition pure, simple et dĂ©finitive de la peine de mort », conclut-il. Cet engagement n’a rien de neuf pour l’écrivain français. En 1829, Victor Hugo Ă©crit Le Dernier Jour d’un condamnĂ© qu’il renonce d’abord Ă  signer. En un long monologue intĂ©rieur, le meurtrier qui attend le bourreau livre ses souvenirs, ses angoisses, ses regrets, ses souffrances, son rejet au ban de l’humanitĂ©. C’est en traversant peu auparavant la place de l’HĂŽtel-de-Ville, Ă  Paris, oĂč le bourreau graissait la guillotine en prĂ©vision d’une exĂ©cution, que l’auteur a conçu ce roman Ă  thĂšse, descendu par une partie de la critique, saluĂ© en revanche par Sainte-Beuve et Alfred De Vigny. La force de son plaidoyer rĂ©side dans le choix d’avoir anonymisĂ© le personnage du condamnĂ©, un homme comme les autres livrĂ© Ă  la mort pour un crime quelconque, ce parti pris renvoyant le lecteur aux grands principes plutĂŽt qu’au simple rĂ©cit. Hugo veut servir l’universel. Victor mĂȘme pas mort Victor Hugo est nĂ© le 26 fĂ©vrier 1802 Ă  Besançon et mort le 22 mai 1885 Ă  Paris. PoĂšte, dramaturge, Ă©crivain, romancier et dessinateur romantique français, il reste dans nos souvenirs comme ce grand-pĂšre immortalisĂ© par Nadar, lourd d’une vie de convictions et de travail. Et pourtant, Victor n’est pas mort. Ses craintes et ses combats assurent le relais posthume. En tĂ©moigne ce sondage Ipsos/Le Monde qui, en 2020, donnait 55 % de Français favorables au rĂ©tablissement de la peine capitale. Depuis, Eric Zemmour leur a donnĂ© raison, mĂȘme s’il estime qu’il y a tout de mĂȘme d’autres prioritĂ©s. Je ne pense pas qu’on ait bien fait d’abolir la peine de mort. Philosophiquement, j’y suis favorable », tranche le polĂ©miste. Aujourd’hui, Le Dernier Jour d’un condamnĂ© est toujours Ă©tudiĂ© dans les lycĂ©es français. L’Ɠuvre prĂ©sente l’avantage d’ĂȘtre accessible par sa concision, lĂ  oĂč Les MisĂ©rables pĂšsent leurs 365 chapitres, un par jour. Les deux rĂ©cits poursuivent cependant un objectif commun. Dans ses romans, explique Jean-Marc Hovasse qui a consacrĂ© une ample biographie Ă  l’écrivain français, l’ambition est de s’adresser Ă  tout le monde, aux Ă©rudits comme Ă  ceux qui ont un accĂšs plus limitĂ© Ă  la culture. Le but de Victor Hugo a toujours Ă©tĂ© d’élever le niveau de ses lecteurs. EnormĂ©ment d’ambition est venue de son humanisme. Il Ă©tait contre la littĂ©rature de pur divertissement, mĂȘme s’il en connaissait les ficelles ». Ses livres se sont Ă©normĂ©ment vendus de son vivant et par la suite, avant que le cinĂ©ma ne prenne le relais. En 1956, le rĂ©alisateur Jean Delannoy donne une nouvelle jeunesse Ă  Notre-Dame de Paris, avec pour acteurs principaux Gina Lollobrigida et Anthony Quinn. La musique, la comĂ©die musicale, le théùtre, des jeux vidĂ©os tous rĂ©citent aujourd’hui du Victor Hugo, adaptant et rĂ©adaptant au fil des annĂ©es cette Ɠuvre aux airs de conte dĂ©fait, mĂȘlant critique sociale et heroĂŻc fantasy dans l’ostentation d’un amour difforme. En 2019, l’incendie de Notre-Dame a remis le roman de Victor Hugo Ă  l’honneur. euros ont Ă©tĂ© rĂ©coltĂ©s grĂące Ă  la vente de l’édition Gallimard du classique hugolien et donnĂ©s Ă  la reconstruction de la cathĂ©drale gothique. L’histoire renvoie ainsi ses balles. En 1831, alors que paraissait Notre-Dame de Paris, Hugo critiquait le sort rĂ©servĂ© au monument parisien. C’est ainsi qu’on agit depuis tantĂŽt 200 ans avec les merveilleuses Ă©glises du moyen Ăąge, Ă©crivait-il. Les mutilations leur viennent de toutes parts, du dedans comme du dehors. Le prĂȘtre les badigeonne, l’architecte les gratte, puis le peuple survient, qui les dĂ©molit
 ». Hugo dĂ©fenseur du patrimoine, dĂ©fenseur des petits et des opprimĂ©s, dĂ©fenseur de l’ñme humaine. Hugo le rĂ©aliste-idĂ©aliste, le romantique, le croyant. Hugo l’auteur pulsionnel d’une Ɠuvre romanesque ambitieuse, d’une poĂ©sie lyrique, de romans Ă  thĂšse, de piĂšces de théùtre Cromwell, Hernani ou encore Ruy Blas, de mĂ©moires et de carnets de voyage. Hugo raconte, digresse, s’emporte. Hugo est une bĂȘte de travail littĂ©raire. De l’écriture Ă  la politique En 1848 toutefois, il passe de l’écriture Ă  la politique. Elu parlementaire, il appuie la candidature de Louis-NapolĂ©on Bonaparte Ă  la prĂ©sidence de la DeuxiĂšme RĂ©publique. L’homme qui se revendique de la descendance de NapolĂ©on Ier lui paraĂźt alors distinguĂ© et intelligent ». Ce sont les premiĂšres Ă©lections depuis 1792 Ă  se dĂ©rouler au suffrage universel masculin. Et comme Victor Hugo tient le vainqueur d’Austerlitz pour un hĂ©ros et un gĂ©nie – son pĂšre Joseph LĂ©opold Sigisbert Hugo a Ă©tĂ© marĂ©chal de camp sous le Premier Empire –, il soutient logiquement le dernier prince impĂ©rial Louis-NapolĂ©on Bonaparte Ă  la prĂ©sidence de la RĂ©publique. Pari gagnĂ©. Mais rapidement la brouille s’installe entre le parlementaire et le nouveau chef de l’Etat, peut-ĂȘtre en raison de dissensions sur l’enseignement. Contre l’Eglise et ses soutiens, Hugo dĂ©fend l’école laĂŻque. Hugo le conservateur se fait de plus en plus progressiste. AprĂšs le coup d’Etat du 2 dĂ©cembre 1851 qui fait de Louis-NapolĂ©on Bonaparte le nouveau NapolĂ©on III et marque l’avĂšnement du Second Empire, Victor Hugo devient l’un de ses plus farouches opposants. Il doit se cacher et quitte la France pour la Belgique. Il est proscrit. On connaĂźt la suite. Hugo s’installe Ă  la Grand-Place de Bruxelles durant huit mois. Son premier pamphlet contre le nouvel empereur – NapolĂ©on Le Petit – incite les autoritĂ©s belges Ă  lui demander de quitter le territoire durant l’étĂ© 1852. C’est le dĂ©but de l’exil pour Jersey et Guernesey. Hugo ne rentrera en France qu’aprĂšs la bataille de Sedan 1870 qui marque la dĂ©faite de la France face Ă  la Prusse. C’est la fin du Second Empire et le dĂ©but de la IIIe RĂ©publique. A plusieurs reprises, l’écrivain a parcouru la Belgique en tous sens, ponctuant ses visites de comptes rendus au style trĂšs hugolien. Mais c’est Ă  Jersey, en 1852, qu’il Ă©crit son cĂ©lĂšbre poĂšme L’expiation. Waterloo et sa morne plaine » tiennent la vedette dans ces vers passionnĂ©s, bien qu’à cette Ă©poque l’auteur n’ait toujours pas mis les pieds sur le champ de bataille. Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine ! Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine, Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons, La pĂąle mort mĂȘlait les sombres bataillons. D’un cĂŽtĂ© c’est l’Europe et de l’autre la France. » Ouvrez-moi, je viens pour vous » Waterloo est aussi l’endroit oĂč, en 1861, Victor Hugo termine les MisĂ©rables, son roman le plus fort, le plus emblĂ©matique, le plus universel. Dans la prĂ©face, il plante un dĂ©cor qui n’a pas vieilli Tant que les trois problĂšmes du siĂšcle, la dĂ©gradation de l’homme par le prolĂ©tariat, la dĂ©chĂ©ance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas rĂ©solus 
 tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misĂšre, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas ĂȘtre inutiles. » A son Ă©diteur italien Daelli, Hugo Ă©crit que Partout oĂč l’homme ignore et dĂ©sespĂšre, partout oĂč la femme se vend pour du pain, partout oĂč l’enfant souffre faute d’un livre qui l’enseigne et d’un foyer qui le rĂ©chauffe, le livre Les MisĂ©rables frappe Ă  la porte et dit Ouvrez-moi, je viens pour vous ». Pour Victor Hugo, la misĂšre est le vĂȘtement du genre humain ». En 1871, le dĂ©clenchement de la Commune de Paris prĂȘte une scĂšne aussi spectaculaire que rĂ©elle Ă  l’histoire romancĂ©e de Jean Valjean, de Cosette et de Javert. L’auteur prend fait et cause pour les Communards qu’il propose d’accueillir Ă  Bruxelles oĂč il est venu rĂ©gler la succession de son fils Charles. Les autoritĂ©s belges sont furibardes, l’affaire tourne Ă  la polĂ©mique, fait des vagues dans la presse et au parlement. Hugo est priĂ© de quitter le pays. Le 1er juin 1871, il prend le train et se rĂ©fugie Ă  Vianden au Luxembourg oĂč il Ă©crit L’AnnĂ©e terrible, qui contient ses poĂšmes dĂ©diĂ©s aux insurgĂ©s Les FusillĂ©s et À ceux qu’on foule aux pieds. L’Ɠuvre de Hugo est immense. Par la production, par le talent, par l’extraordinaire empathie dont l’auteur fait preuve pour les damnĂ©s de son Ă©poque et pour sa capacitĂ© visionnaire. Plus d’un siĂšcle et demi aprĂšs la sortie des MisĂ©rables, un ĂȘtre humain sur six reste confrontĂ© Ă  la faim, les violences faites aux femmes sont dĂ©noncĂ©es chaque jour, la moitiĂ© des pauvres de la planĂšte sont des enfants. DamnĂ©s de la mer DamnĂ©s de la terre, mais aussi damnĂ©s de l’ocĂ©an comme dans Les Travailleurs de la mer, ce roman inspirĂ© par le nouvel univers de celui qui durant ses dix-neuf annĂ©es d’exil va regarder la France depuis les Ăźles Anglo-Normandes. La mer devient, Ă©crit l’essayiste Simon Leys, une compagne, une inspiratrice, un objet de contemplation quotidienne, attentive et passionnĂ©e ». Elle est ce théùtre homĂ©rien oĂč bouillonnent des Ă©lĂ©ments tout au service de dieu, obstinĂ©s dans leur volontĂ© de ramener l’homme Ă  sa piĂštre condition de mortel. Une brindille insignifiante dans le maelström du monde. La peine, la misĂšre, l’injustice
 Et pourtant, Hugo est un indĂ©crottable optimiste. Ses critiques les plus acerbes lui reprochaient de ne pas penser, tant il croyait dans le progrĂšs et la capacitĂ© de l’homme Ă  Ă©voluer vers un meilleur. Le poĂšte Leconte de Lisle le qualifiera de bĂȘte comme l’Himalaya ». Le temps a dĂ©montrĂ© que Victor Hugo avait raison sur bien des choses. Beaucoup de ses dĂ©tracteurs sont tombĂ©s dans l’oubli. Cette luciditĂ©, cette prĂ©monition, cette inclination Ă  saisir l’homme dans son universalitĂ©, accompagnent le lecteur tout au long de l’Ɠuvre hugolienne. On ne choisit ni son origine, ni sa couleur de peau Comme on rĂȘve d’une vie de chĂąteau quand on vit le ghetto NaĂźtre l’étau autour du cou comme Cosette pour Hugo 
 Sortir d’en bas, rĂȘver de dĂ©chirer ce tableau », chante Calogero et Passi dans Face Ă  la mer. Victor Hugo n’a pas fini d’inspirer. Erik Orsenna Hugo, c’est un grand frĂšre qui vous prend par la main» Pour Erik Orsenna, Victor Hugo est un trĂ©sor un brin intimidant, mais dont il faut oser forcer la porte. Entretien - Chef du service Forum Par William Bourton PubliĂ© le 14/10/2021 Ă  1636 Temps de lecture 3 min L’acadĂ©micien français Erik Orsenna a acceptĂ© de parrainer la collection des Ɠuvres de Victor Hugo. Il nous explique pourquoi. Pourquoi nous engagez-vous Ă  relire Hugo ? Parce que nous avons un trĂ©sor, et ce trĂ©sor, c’est Hugo. Mais on a un rapport paresseux avec ce trĂ©sor. On sait qu’il est lĂ  mais on se dit qu’on n’a pas besoin d’aller y voir. Et puis, quand on vous dit de le lire, par une sorte d’esprit de contradiction, vous dites non » – et quand on vous le dit Ă  l’école, c’est encore pire
 Il faut forcer la porte du trĂ©sor. Moi, je vis avec Hugo comme je vis avec La Fontaine je n’arrĂȘte pas de les lire. Hugo, c’est une planĂšte, et la planĂšte Hugo s’appelle l’humanitĂ© ». C’est tous les ĂȘtres humains et au fond, tous les ĂȘtres vivants en mĂȘme temps. Donc allez-y, essayez ! Mais essayez hors des sentiers battus ; parce que c’est un univers complet. Explorons les trĂ©sors qui nous sont offerts... En quoi Hugo est-il un trĂ©sor » ? Hugo, c’est le » trĂ©sor dans tous les domaines. Sa poĂ©sie n’est pas connue, hormis deux, trois choses sur La lĂ©gende des siĂšcles. Mais si vous la lisez, vous allez ĂȘtre bouleversĂ©s parce que c’est Ă  la fois un gĂ©ant et un frĂšre. C’est ça qui est formidable avec les plus grands Ă©crivains, les plus grands artistes ils sont Ă©videmment totalement inatteignables par leur taille et en mĂȘme temps, ils nous parlent du plus profond d’eux-mĂȘmes. Hugo, c’est un grand frĂšre qui vous prend par la main. Pourquoi refuser cette main qu’il nous tend ? Mais Hugo, c’est aussi un Ɠil, qui nous force Ă  regarder ce qui l’embĂȘte. Ainsi, ses textes politiques sont exceptionnels. Notamment ce texte dans lequel il parle du sac du Palais d’étĂ© de PĂ©kin Lettre au capitaine Butler, 1861. Cet Ă©difice Ă©tait une sorte de dialogue exceptionnel du XVIIIe siĂšcle entre ce qu’il y avait de meilleur dans l’art chinois et de meilleur dans l’art europĂ©en, via les JĂ©suites. Et en 1860, les armĂ©es franco-britanniques ont dĂ©vastĂ© ce palais, ce trĂ©sor absolu, comme si on avait massacrĂ© Versailles – et Versailles n’est que français. Et Hugo a fait un texte incroyable, qui est encore lu et appris, souvent par cƓur, par les petits Ă©lĂšves chinois
 Il est partout, cet homme-lĂ . Il est avec Les travailleurs de la mer, il est avec Les MisĂ©rables
 C’est l’ouvrage que vous conseilleriez pour commencer Ă  celui qui n’aurait jamais lu Hugo ? Pourquoi pas ? Moi, j’adore L’homme qui rit. Mais ça peut ĂȘtre aussi Notre-Dame de Paris. Vous pouvez commencer n’importe oĂč. Vous plongez et vous vous dites Oh, je ne savais pas qu’il avait Ă©crit ça, je ne savais pas qu’il me parlait ». Ainsi, quand sa fille meurt, il est bouleversant, ce gĂ©ant
 Ce gĂ©ant est bouleversant dans toutes les dimensions de notre humanitĂ© c’est ça le rĂ©sumĂ© de l’affaire. C’est comme Shakespeare, c’est comme CervantĂšs, c’est comme Diderot tous ces gens qui sont des univers, qui sont des trĂ©sors et qui sont des compagnons qui nous aident Ă  vivre, qui nous aident Ă  comprendre, qui nous aident Ă  ĂȘtre plus grands et plus divers que nous. On parle de la biodiversitĂ©, mais la biodiversitĂ© il faut la mettre dans notre vie nous-mĂȘmes. On ne peut pas lutter contre ce dĂ©sastre qui est l’effondrement de la biodiversitĂ© et ne pas en soi-mĂȘme ĂȘtre bio-divers ». C’est ça qui me frappe le plus cette contradiction entre le gĂ©ant et le grand frĂšre. Hugo est fraternel. Il a la passion de la fraternitĂ©. Il n’y a pas besoin de Dieu pour ces gens-lĂ , l’humanitĂ© suffit. Le fil info La Une Tous Voir tout le Fil info Sur le mĂȘme sujet Retrouvez grĂące au Soir, l’Ɠuvre immortelle et engagĂ©e d’un monument de la littĂ©rature. Aussi en Livres Lola Lafon rĂ©habilite Anne Frank Quand tu Ă©couteras cette chanson » est un dialogue entre deux Ă©crivaines, mĂȘme si l’une d’elles est morte en 1945. Lisez le premier chapitre. Par Pierre Maury RentrĂ©e littĂ©raire 490 fois le plaisir de plonger dans l’ailleurs Par Jean-Claude Vantroyen Critique Sepetys, PirzĂąd, Millet
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18021822. 1802. Naissance de Victor Hugo le 26 fĂ©vrier Ă  Besançon oĂč son pĂšre, LĂ©opold, est en garnison. Celui-ci, soldat de la rĂ©volution puis de l’Empire fera l’essentiel de sa carriĂšre auprĂšs de Joseph Bonaparte. Il a Ă©pousĂ© en 1797, Sophie TrĂ©buchet, vendĂ©enne, royaliste.
Ne dites pas mourir ; dites naĂźtre. Croyez. On voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l’homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ; On tĂąche d’oublier le bas, la fin, l’écueil, La sombre Ă©galitĂ© du mal et du cercueil ; Quoique le plus petit vaille le plus prospĂšre ; Car tous les hommes sont les fils du mĂȘme pĂšre ; Ils sont la mĂȘme larme et sortent du mĂȘme oeil. On vit, usant ses jours Ă  se remplir d’orgueil ; On marche, on court, on rĂȘve, on souffre, on penche, on tombe, On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe. OĂč suisje ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu, Impur, hideux, nouĂ© des mille noeuds funĂšbres De ses torts, de ses maux honteux, de ses tĂ©nĂšbres ; Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est bĂ©ni, Sans voir la main d’oĂč tombe Ă  notre Ăąme mĂ©chante L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant, Tout notre ĂȘtre frĂ©mit de la dĂ©faite Ă©trange Du monstre qui devient dans la lumiĂšre un ange. Les contemplations Voter pour ce poĂšme!
Dansle livre IV et V. des Contemplations Victor Hugo construit l’image du pĂšre inconsolable, que la mort de sa fille a dĂ©finitivement changĂ© en un « contemplateur », c’est Ă  dire en un penseur exclusivement prĂ©occupĂ© par la rĂ©flexion sur Dieu, la mort, la destinĂ©e des hommes, les grandes questions mĂ©taphysiques.
Temps de lecture 24 minutes > Il est rare que l’Ɠuvre comme les engagements d’un auteur suscitent l’admiration c’est le cas de Victor HUGO 1806-1885. À la fois poĂšte, Ă©crivain, dramaturge, dessinateur et homme politique, il a fait rimer idĂ©aux esthĂ©tiques et sociaux. Ouvrir Les MisĂ©rables ou Les Contemplations, c’est comprendre le sens du mot gĂ©nie ». Savoir admirer est une haute puissance. Victor Hugo [ 31 juillet 2021] Si je vous dis Notre Dame de Paris, Les MisĂ©rables ou encore L’Homme qui rit, vous me rĂ©pondez sans aucune hĂ©sitation Victor Hugo ! Parmi les nombreuses histoires qui accompagnent l’un des Ă©crivains les plus cĂ©lĂšbres de la littĂ©rature française, saviez-vous seulement que la Belgique Ă©tait devenue sa terre d’asile pendant plus de 500 jours ? Pour vous y retrouver, cliquez ici... DerriĂšre l’auteur, le politique engagĂ©Belgique, terre d’accueilIntroductionL’auteurLe texteDu gĂ©nieLe goĂ»tUtilitĂ© du Beau DerriĂšre l’auteur, le politique engagĂ© Celui qui est considĂ©rĂ© comme le pĂšre du romantisme français met sa plume au service de son engagement politique. Plusieurs sources situent ses dĂ©buts en politique aprĂšs le dĂ©cĂšs tragique de sa fille, LĂ©opoldine, en 1843. Quel qu’en ait Ă©tĂ© l’élĂ©ment dĂ©clencheur, Victor Hugo est nommĂ© “Pair de France” par le roi Louis-Philippe en 1845 et rejoint le camp des RĂ©publicains. Membre de l’AcadĂ©mie française depuis 1841, le poĂšte se dresse contre la peine de mort et l’injustice sociale, Ă  la Chambre, et est Ă©lu maire du 8e arrondissement de Paris et dĂ©putĂ© en 1848. Sous la IIe RĂ©publique, Hugo juge les lois trop rĂ©actionnaires, et dĂ©nonce la rĂ©duction du droit de vote et de la libertĂ© de la presse. Il s’insurge Ă©galement face Ă  la terrible rĂ©pression menĂ©e par l’armĂ©e suite aux 4 journĂ©es d’insurrection ouvriĂšre Ă  Paris, en juin 1848. Initialement alliĂ© au rĂ©gime du roi, le romantique se dĂ©tache finalement de la droite, pour soutenir la candidature de Louis NapolĂ©on Bonaparte. Élu PrĂ©sident de la RĂ©publique le 10 dĂ©cembre 1848, mais politiquement isolĂ©, ce dernier Ă©choue Ă  s’attirer les bonnes grĂąces de l’AssemblĂ©e, majoritairement conservatrice. A ses yeux, le futur NapolĂ©on III reprĂ©sente le chef de la famille Bonaparte, l’hĂ©ritier de l’Empereur, son oncle, et son continuateur prĂ©somptif. Il y a lĂ  un problĂšme sa fonction prĂ©sidentielle est limitĂ©e Ă  un seul mandat de 4 ans. Impossible, donc, pour Louis-NapolĂ©on de rallonger sa prĂ©sidence pour la transformer en monarchie, Ă  moins d’imposer la rĂ©vision par la force. Belgique, terre d’accueil “Moi, je les aime fort ces bons Belges” © Pour contrer le coup d’Etat du 2 dĂ©cembre 1851, visant Ă  rĂ©tablir l’Empire, Victor Hugo signe un appel Ă  la rĂ©sistance armĂ©e – “charger son fusil et se tenir prĂȘt” peut-on lire dans le magazine Geo –, sans succĂšs. Pour Ă©viter le bannissement, le poĂšte dĂ©cide alors de fuir la France qu’il dit tyrannisĂ©e par “le petit“. Le 11 dĂ©cembre 1851 au soir, il monte Ă  bord d’un train en direction de Bruxelles depuis la gare du Nord. DissimulĂ© sous une fausse identitĂ©, Jacques-Firmin Lanvin, ouvrier imprimeur, Hugo arrive en Belgique par QuiĂ©vrain. Le plat pays ne lui est pas Ă©tranger, puisqu’il s’y Ă©tait rendu pour la premiĂšre fois en vacances aux cĂŽtĂ©s de Juliette Drouet, en 1837. Victor Hugo s’installe pour 7 mois sur la Grand-Place de Bruxelles, dans la Maison du Moulin Ă  vent puis la Maison du pigeon. Il gagne ensuite l’üle anglo-normande de Jersey pour les 10 prochaines annĂ©es. La cĂ©lĂ©britĂ© littĂ©raire française, dont la vĂ©ritable identitĂ© ne resta pas longtemps secrĂšte Ă  Bruxelles, ne semble pas pouvoir se sĂ©parer de notre pays si facilement. “En 1861, il est venu faire un voyage en Belgique. Il a rĂ©sidĂ© Ă  Bruxelles et Ă  Spa pendant quelques mois ; depuis lors il est venu passer chaque annĂ©e une partie de la belle saison dans le royaume, parcourant les champs de bataille ou les parties curieuses du pays. Il n’a jamais Ă©tĂ© mis obstacle Ă  son sĂ©jour.” [Source document du 30 mai 1871, extrait du dossier conservĂ© aux Archives gĂ©nĂ©rales du Royaume] C’est lors de son retour en 1862 qu’il peaufine Les MisĂ©rables. VĂ©ritable manifeste contre la pauvretĂ©, trop dĂ©licat pour lui de le publier en France. C’est ainsi qu’il se tourne vers Lacroix & Verboeckhoven, une maison d’édition bruxelloise situĂ©e rue des Colonies. En mars 1871, le romancier français regagne une nouvelle fois le sol belge et s’installe place des Barricades n°4 Ă  Bruxelles au moment de l’éclatement de la guerre civile en France. Chez nous, ses prises de position provoquent le dĂ©sarroi de quelques citoyens qui rĂ©clament alors son expulsion. Hugo quitte la Belgique et dĂ©barque au Grand-DuchĂ© du Luxembourg le 1er juin 1871. Il dĂ©cĂ©dera Ă  Paris le 22 mai 1885, ĂągĂ© de 83 ans. Romane Carmon, Le texte suivant est extrait d’un cahier central de prĂ©parĂ© par Victorine de Oliveira. Le numĂ©ro 137 de mars 2020 Ă©tait consacrĂ© Ă  notre besoin d’admirer “L’admiration, c’est ce qui vient briser notre rapport instrumental au monde. Quand nous la ressentons, nous oscillons entre Ă©mancipation et aliĂ©nation. Comment ne pas nous perdre en elle ?” En savoir plus sur Introduction Quand on s’appelle Victor Hugo et qu’on a dĂ©jĂ  une bonne partie de son Ɠuvre et de sa carriĂšre politique derriĂšre soi, admirer n’a pas exactement la mĂȘme signification que pour le commun des mortels. Face Ă  une Ɠuvre d’art, une symphonie de Beethoven ou À la recherche du temps perdu de Proust, il y a fort Ă  parier que nous nous sentions tous petits. DĂ©jĂ  que le moindre rhume suffit Ă  nous faire manquer l’heure du rĂ©veil, pas sĂ»r que nous survivions Ă  une surditĂ© incurable ou Ă  de sĂ©vĂšres difficultĂ©s respiratoires chroniques. Alors pour ce qui est de composer ou d’écrire
 L’admiration suppose a priori une hiĂ©rarchie, un piĂ©destal sur lequel repose l’objet que l’on ne peut que regarder d’en bas. Hugo perçoit une autre dynamique loin de marquer la distance, l’objet d’admiration laisse entre- voir la possibilitĂ© d’un monde – “Vous avez vu les Ă©toiles.” Une vision qui ne laisse pas indemne, avec un avant et un aprĂšs. La faute Ă  ce pouvoir Ă©trange qu’ont les Ɠuvres de nous transformer “Toute Ɠuvre d’art est une bouche de chaleur vitale ; l’homme se sent dilatĂ©. La lueur de l’absolu, si prodigieusement lointaine, rayonne Ă  travers cette chose, lueur sacrĂ©e et presque formidable Ă  force d’ĂȘtre pure. L’homme s’absorbe de plus en plus dans cette Ɠuvre ; il la trouve belle ; il la sent s’introduire en lui.” D’autres parleront d’ouvrir les portes de la perception, mais c’est une autre histoire. Qu’est-ce qui attire dans telle ou telle Ɠuvre, chez tel ou tel auteur? “Ils ont sur la face une pĂąle sueur de lumiĂšre. L’ñme leur sort par les pores. Quelle Ăąme ? Dieu“, rĂ©pond Hugo. L’objet d’admiration est touchĂ© par la grĂące, dispose d’un accĂšs direct au divin. Mais loin de concevoir le gĂ©nie de façon aristocratique, comme quelque chose qui distingue diffĂ©rentes espĂšce d’ĂȘtres humains mais aussi les Ă©poques, Hugo veut croire qu’il montre la voie, tend la main, bĂątit un pont – façon d’accorder opinions politiques, son rĂ©publicanisme, et pensĂ©e esthĂ©tique. Certes, dans un premier temps, ceux qui portent la marque du gĂ©nie “laissent l’humanitĂ© derriĂšre eux. Voir les autres horizons, approfondir cette aventure qu’on appelle l’espace, faire une excursion dans l’inconnu, aller Ă  la dĂ©couverte du cĂŽtĂ© de l’idĂ©al, il leur faut cela.” Mais, en dĂ©finitive, “ils consolent et sourient. Ce sont des hommes.” C’est pourquoi l’échange, la circulation sont possibles. “Il est impossible d’admirer un chef-d’Ɠuvre sans Ă©prouver en mĂȘme temps une certaine estime de soi“, s’enthousiasme Hugo. VoilĂ  de quoi crĂ©er une vĂ©ritable “RĂ©publique des lettres”. L’ennui, c’est que “malgrĂ© 89, malgrĂ© 1830, le peuple n’existe pas encore en rhĂ©torique“. Pourquoi ? La faute Ă  une certaine critique, plus occupĂ©e Ă  opĂ©rer des distinctions, Ă  Ă©taler sa propre Ă©rudition, qu’à transmettre un souffle, un Ă©lan. Hugo, modeste, se place plutĂŽt du cĂŽtĂ© du critique grand philosophe’ que du gĂ©nie – encore qu’on ne peut s’empĂȘcher de noter que la liste des auteurs citĂ©s forme une lignĂ©e unie sous la plume de celui qui les loue. “Les enthousiasmes de l’art Ă©tudiĂ© ne sont donnĂ©s qu’aux intelligences supĂ©rieures ; savoir admirer est une haute puissance” ; admiration rime donc potentiellement avec crĂ©ation. Il n’y a plus qu’à
 L’auteur “Je veux ĂȘtre Chateaubriand ou rien” c’est en admirant que Victor Hugo est devenu le monument que l’on sait. NĂ© le 26 fĂ©vrier 1806 Ă  Besançon d’un pĂšre gĂ©nĂ©ral d’Empire et d’une mĂšre issue de la bourgeoisie, il n’a pas 10 ans quand il commence Ă  Ă©crire des vers. En crĂ©ant avec ses frĂšres la revue Le Conservateur littĂ©raire, il affiche une premiĂšre prĂ©fĂ©rence royaliste. StratĂ©gie judicieuse la pension que lui verse le roi Louis XVIII aprĂšs la parution de son premier recueil de poĂšmes Odes, en 1821, lui permet de vivre de sa plume, de devenir Victor Hugo. Il brise les codes du théùtre classique en 1827 avec sa piĂšce Cromwell – finies les unitĂ©s de temps et de lieu -, puis dĂ©clenche une bataille aussi physique que littĂ©raire lors de la premiĂšre reprĂ©sentation d’Hernani en 1830. Hauteville House Ă  Guernesey le cabinet de travail de Hugo © DP Dans le mĂȘme temps, ses idĂ©es politiques Ă©voluent s’il soutient dans un premier temps la rĂ©pression des rĂ©voltes de 1848, il dĂ©sapprouve les lois anti-libertĂ© de la presse. Son Discours sur la misĂšre de 1849, alors qu’il est dĂ©putĂ©, marque un tournant. De plus en plus ouvertement opposĂ© au pouvoir, il est finalement contraint Ă  l’exil Ă  partir de 1851, d’abord Ă  Bruxelles, puis Ă  Jersey et Ă  Guernesey. LĂ -bas naissent Les ChĂątiments 1853, Les Contemplations 1856, La LĂ©gende des siĂšcles 1859, Les MisĂ©rables 1862, Les Travailleurs de la mer 1866. Le poĂšte y dĂ©ploie son gĂ©nie en mĂȘme temps que ses inquiĂ©tudes sociales et sa sympathie pour tous les Gavroche. Ce n’est qu’à la chute du Second Empire, en 1870, qu’il peut enfin rentrer en France. Devenu une figure populaire, il est accueilli triomphalement. Plusieurs centaines de milliers de personnes assistent Ă  ses funĂ©railles en 1885, couronnant son statut d’écrivain le plus admirĂ© de son vivant. Le texte Écrites lors de sa pĂ©riode d’exil Ă  Guernesey mais parues aprĂšs sa mort, les Proses philosophiques sont des rĂ©flexions trĂšs libres, lyriques et poĂ©tiques sur les thĂšmes du goĂ»t, du beau et de l’art. Elles commencent par une cĂ©lĂ©bration de l’incommensurable beautĂ© du cosmos et se poursuivent par la description de l’élan crĂ©ateur humain. Hugo s’y place en modeste spectateur et admirateur de merveilles qui le subjuguent et le dĂ©passent. Du gĂ©nie BOCH Anna, Femme lisant dans un massif de rhododendrons © WikimĂ©dia Commons Vous ĂȘtes Ă  la campagne, il pleut, il faut tuer le temps, vous prenez un livre, le premier livre venu, vous vous mettez Ă  lire ce livre comme vous liriez le journal officiel de la prĂ©fecture ou la feuille d’affiches du chef-lieu, pensant Ă  autre chose, distrait, un peu bĂąillant. Tout Ă  coup vous vous sentez saisi, votre pensĂ©e semble ne plus ĂȘtre Ă  vous, votre distraction s’est dissipĂ©e, une sorte d’absorption, presque une sujĂ©tion, lui succĂšde, -vous n’ĂȘtes plus maĂźtre de vous lever et de vous en aller. Quelqu’un vous tient. Qui donc ? ce livre. Un livre est quelqu’un. Ne vous y fiez pas. Un livre est un engrenage. Prenez garde Ă  ces lignes noires sur du papier blanc ; ce sont des forces ; elles se combinent, se composent, se dĂ©composent, entrent l’une dans l’autre, pivotent l’une sur l’autre, se dĂ©vident, se nouent, s’accouplent, travaillent. Telle ligne mord, telle ligne serre et presse, telle ligne entraĂźne, telle ligne subjugue. Les idĂ©es sont un rouage. Vous vous sentez tirĂ© par le livre. Il ne vous lĂąchera qu’aprĂšs avoir donnĂ© une façon Ă  votre esprit. Quelquefois les lecteurs sortent du livre tout Ă  fait transformĂ©s. HomĂšre et la Bible font de ces miracles. Les plus fiers esprits, et les plus fins et les plus dĂ©licats, et les plus simples, et les plus grands, subissent ce charme. Shakespeare Ă©tait grisĂ© par Belleforest. La Fontaine allait partout criant Avez-vous lu Baruch ? Corneille, plus grand que Lucain, est fascinĂ© par Lucain. Dante est Ă©bloui de Virgile, moindre que lui. Entre tous, les grands livres sont irrĂ©sistibles. On peut ne pas se laisser faire par eux, on peut lire le Coran sans devenir musulman, on peut lire les VĂ©das sans devenir fakir, on peut lire Zadig sans devenir voltairien, mais on ne peut point ne pas les admirer. LĂ  est leur force. Je te salue et je te combats, parce que tu es roi, disait un Grec Ă  XerxĂšs. On admire prĂšs de soi. L’admiration des mĂ©diocres caractĂ©rise les envieux. L’admiration des grands poĂštes est le signe des grands critiques. Pour dĂ©couvrir au-delĂ  de tous les horizons les hauteurs absolues, il faut ĂȘtre soi-mĂȘme sur une hauteur. Ce que nous disons lĂ  est tellement vrai qu’il est impossible d’admirer un chef-d’Ɠuvre sans Ă©prouver en mĂȘme temps une certaine estime de soi. On se sait grĂ© de comprendre cela. Il y a dans l’admiration on ne sait quoi de fortifiant qui dignifie et grandit l’intelligence. L’enthousiasme est un cordial. Comprendre c’est approcher. Ouvrir un beau livre, s’y plaire, s’y plonger, s’y perdre, y croire, quelle fĂȘte ! On a toutes les surprises de l’inattendu dans le vrai. Des rĂ©vĂ©lations d’idĂ©al se succĂšdent coup sur coup. Mais qu’est-ce donc que le beau ? Ne dĂ©finissez pas, ne discutez pas, ne raisonnez pas, ne coupez pas un fil en quatre, ne cherchez pas midi Ă  quatorze heures, ne soyez pas votre propre ennemi Ă  force d’hĂ©sitation, de raideur et de scrupule. Quoi de plus bĂȘte qu’un pĂ©dant ? Allez devant vous, oubliez votre professeur de rhĂ©torique, dites-vous que Dieu est inĂ©puisable, dites-vous que l’art est illimitĂ©, dites-vous que la poĂ©sie ne tient dans aucun art poĂ©tique, pas plus que la mer dans aucun vase, cruche ou amphore ; soyez tout bonnement un honnĂȘte homme ayant la grandeur d’admirer, laissez-vous prendre par le poĂšte, ne chicanez pas la coupe sur l’ivresse, buvez, acceptez, sentez, comprenez, voyez, vivez, croissez ! L’éclair de l’immense, quelque chose qui resplendit, et qui est brusquement surhumain, voilĂ  le gĂ©nie. De certains coups d’aile suprĂȘmes. Vous tenez le livre, vous l’avez sous les yeux, tout Ă  coup il semble que la page se dĂ©chire du haut en bas comme le voile du temple. Par ce trou, l’infini apparaĂźt. Une strophe suffit, un vers suffit, un mot suffit. Le sommet est atteint. Tout est dit. Lisez Ugolin, Françoise dans le tourbillon, Achille insultant Agamemnon, PromĂ©thĂ©e enchaĂźnĂ©, les Sept chefs devant ThĂšbes, Hamlet dans le cimetiĂšre, Job sur son fumier. Fermez le livre maintenant. Songez. Vous avez vu les Ă©toiles. Il y a de certains hommes mystĂ©rieux qui ne peuvent faire autrement que d’ĂȘtre grands. Les bons badauds qui composent la grosse foule et le petit public et qu’il faut se garder de confondre avec le peuple, leur en veulent presque Ă  cause de cela. Les nains blĂąment le colosse. Sa grandeur, c’est sa faute. Qu’est-ce qu’il a donc, celui-lĂ , Ă  ĂȘtre grand ? S’appeler Miguel de CervantĂšs, François Rabelais ou Pierre Corneille, ne pas ĂȘtre le premier grimaud venu, exister Ă  part, jeter toute cette ombre et tenir toute cette place ; que tel mandarin, que tel sorbonniste, que tel doctrinaire fameux, grand personnage pourtant, ne vous vienne pas Ă  la hanche, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela ne se fait pas. C’est insupportable. COURBET Gustave, Le dĂ©sespĂ©rĂ© autoportrait, 1844-45 © Collection privĂ©e Pourquoi ces hommes sont-ils grands en effet ? ils ne le savent point eux-mĂȘmes. Celui-lĂ  le sait qui les a envoyĂ©s. Leur stature fait partie de leur fonction. Ils ont dans la prunelle quelque vision redoutable qu’ils emportent sous leur sourcil. Ils ont vu l’ocĂ©an comme HomĂšre, le Caucase comme Eschyle, la douleur comme Job, Babylone comme JĂ©rĂ©mie, Rome comme JuvĂ©nal, l’enfer comme Dante, le paradis comme Milton, l’homme comme Shakespeare, Pan comme LucrĂšce, JĂ©hovah comme IsaĂŻe. Ils ont, ivres de rĂȘve et d’intuition, dans leur marche presque inconsciente sur les eaux de l’abĂźme, traversĂ© le rayon Ă©trange de l’idĂ©al, et ils en sont Ă  jamais pĂ©nĂ©trĂ©s. Cette lueur se dĂ©gage de leurs visages, sombres pourtant, comme tout ce qui est plein d’inconnu. Ils ont sur la face une pĂąle sueur de lumiĂšre. L’ñme leur sort par les pores. Quelle Ăąme ? Dieu. Remplis qu’ils sont de ce jour divin, par moments missionnaires de civilisation, prophĂštes de progrĂšs, ils entr’ouvrent leur cƓur, et ils rĂ©pandent une vaste clartĂ© humaine ; cette clartĂ© est de la parole, car le Verbe, c’est le jour. – ĂŽ Dieu, criait JĂ©rĂŽme dans le dĂ©sert, je vous Ă©coute autant des yeux que des oreilles – Un enseignement, un conseil, un point d’appui moral, une espĂ©rance, voilĂ  leur don ; puis leur flanc bĂ©ant et saignant se referme, cette plaie qui s’est faite bouche et qui a parlĂ© rapproche ses lĂšvres et rentre dans le silence, et ce qui s’ouvre maintenant, c’est leur aile. Plus de pitiĂ©, plus de larmes. Éblouissement. Ils laissent l’humanitĂ© derriĂšre eux. Voir les autres horizons, approfondir cette aventure qu’on appelle l’espace, faire une excursion dans l’inconnu, aller Ă  la dĂ©couverte du cĂŽtĂ© de l’idĂ©al, il leur faut cela. Ils partent. Que leur fait l’azur ? que leur importe les tĂ©nĂšbres ? Ils s’en vont, ils tournent aux choses terrestres leur dos formidable, ils dĂ©veloppent brusquement leur envergure dĂ©mesurĂ©e, ils deviennent on ne sait quels monstres, spectres peut-ĂȘtre, peut-ĂȘtre archanges, et ils s’enfoncent dans l’infini terrible, avec un immense bruit d’aigles envolĂ©s. Puis tout Ă  coup ils reparaissent. Les voici. Ils consolent et sourient. Ce sont des hommes. Ces apparitions et ces disparitions, ces dĂ©parts et ces retours, ces occultations brusques et ces subites prĂ©sences Ă©blouissantes, le lecteur, absorbĂ©, illuminĂ© et aveuglĂ© par le livre, les sent plus qu’il ne les voit. Il est au pouvoir d’un poĂšte, possession troublante, frĂ©quentation presque magique et dĂ©moniaque, il a vaguement conscience du va-et-vient Ă©norme de ce gĂ©nie ; il le sent tantĂŽt loin, tantĂŽt prĂšs de lui ; et ces alternatives, qui font successivement pour lui lecteur l’obscuritĂ© et la lumiĂšre, se marquent dans son esprit par ces mots – Je ne comprends plus. – Je comprends. Quand Dante, quittant l’enfer, entre et monte dans le paradis, le refroidissement qu’éprouvent les lecteurs n’est pas autre chose que l’augmentation de distance entre Dante et eux. C’est la comĂšte qui s’éloigne. La chaleur diminue. Dante est plus haut, plus avant, plus au fond, plus loin de l’homme, plus prĂšs de l’absolu. Schlegel un jour, considĂ©rant tous ces gĂ©nies, a posĂ© cette question qui chez lui n’est qu’un Ă©lan d’enthousiasme et qui, chez Fourier ou Saint-Simon, serait le cri d’un systĂšme – Sont-ce vraiment des hommes, ces hommes-ci ? Oui, ce sont des hommes ; c’est leur misĂšre et c’est leur gloire. Ils ont faim et soif ; ils sont sujets du sang, du climat, du tempĂ©rament, de la fiĂšvre, de la femme, de la souffrance, du plaisir ; ils ont, comme tous les hommes, des penchants, des pentes, des entraĂźnements, des chutes, des assouvissements, des passions, des piĂšges, ils ont, comme tous les hommes, la chair avec ses maladies, et avec ses attraits, qui sont aussi des maladies. Ils ont leur bĂȘte. La matiĂšre pĂšse sur eux, et eux aussi ils gravitent. Pendant que leur esprit tourne autour de l’absolu, leur corps tourne autour du besoin, de l’appĂ©tit, de la faute. La chair a ses volontĂ©s, ses instincts, ses convoitises, ses prĂ©tentions au bien-ĂȘtre ; c’est une sorte de personne infĂ©rieure qui tire de son cĂŽtĂ©, fait ses affaires dans son coin, a son moi Ă  part dans la maison, pourvoit Ă  ses caprices ou Ă  ses nĂ©cessitĂ©s, parfois comme une voleuse, et Ă  la grande confusion de l’esprit auquel elle dĂ©robe ce qui est Ă  lui. L’ñme de Corneille fait Cinna ; la bĂȘte de Corneille dĂ©die Cinna au financier Montaron. PRETI Mattia, HomĂšre aveugle dĂ©tail, ca. 1635 © Academia Venezia Chez certains, sans rien leur ĂŽter de leur grandeur, l’humanitĂ© s’affirme par l’infirmitĂ©. Le rayon archangĂ©lesque est dans le cerveau ; la nuit brutale est dans la prunelle. HomĂšre est aveugle ; Milton est aveugle. Camoes borgne semble une insulte. Beethoven sourd est une ironie. Ésope bossu a l’air d’un Voltaire dont Dieu a fait l’esprit en laissant FrĂ©ron faire le corps. L’infirmitĂ© ou la difformitĂ© infligĂ©e Ă  ces bien-aimĂ©s augustes de la pensĂ©e fait l’effet d’un contrepoids sinistre, d’une compensation peu avouable lĂ -haut, d’une concession faite aux jalousies dont il semble que le crĂ©ateur doit avoir honte. C’est peut-ĂȘtre avec on ne sait quel triomphe envieux que, du fond de ces tĂ©nĂšbres, la matiĂšre regarde TyrtĂ©e et Byron planer comme gĂ©nies et boiter comme hommes. Ces infirmitĂ©s vĂ©nĂ©rables n’inspirent aucun effroi Ă  ceux que l’enthousiasme fait pensifs. Loin de lĂ . Elles semblent un signe d’élection. Être foudroyĂ©, c’est ĂȘtre prouvĂ© titan. C’est dĂ©jĂ  quelque chose de partager avec ceux d’en haut le privilĂšge d’un coup de tonnerre. À ce point de vue, les catastrophes ne sont plus catastrophes, les souffrances ne sont plus souffrances, les misĂšres ne sont plus misĂšres, les diminutions sont augmentations. Être infirme ainsi que les forts, cela tenterait volontiers. Je me rappelle qu’en 1828, tout jeune, au temps oĂč ‱‱‱ me faisait l’effet d’un ami, j’avais des taches obscures dans les yeux. Ces taches allaient s’élargissant et noircissant. Elles semblaient envahir lentement la rĂ©tine. Un soir,chez Charles Nodier, je contai mes taches noires, que j’appelais mes papillons, Ă  ‱‱‱, qui, Ă©tudiant en mĂ©decine et fils d’un pharmacien, Ă©tait censĂ© s’y connaĂźtre et s’y connaissait en effet. Il regarda mes yeux, et me dit doucement – C’est une amaurose commençante. Le nerf optique se paralyse. Dans quelques annĂ©es la cĂ©citĂ© sera complĂšte. Une pensĂ©e illumina subitement mon esprit. – Eh bien, lui rĂ©pondis-je en souriant, ce sera toujours ça. Et voilĂ  que je me mis Ă  espĂ©rer que je serais peut-ĂȘtre un jour aveugle comme HomĂšre et comme Milton. La jeunesse ne doute de rien. Le goĂ»t [ 
 ] Certaines Ɠuvres sont ce qu’on pourrait appeler les excĂšs du beau. Elles font plus qu’éclairer ; elles foudroient. Étant donnĂ©es les paresses et les lĂąchetĂ©s de l’esprit humain, cette foudre est bonne. Allons au fait, parquer la pensĂ©e de l’homme dans ce qu’on appelle “un grand siĂšcle” est puĂ©ril. La poĂ©sie suivant la cour a fait son temps. L’humanitĂ© ne peut se contenter Ă  jamais d’une tragĂ©die qui plafonne au-dessus de la tĂȘte-soleil de Louis XIV. Il est inouĂŻ de penser que tout notre enseignement universitaire en est encore lĂ  et qu’à la fin du dix-neuviĂšme siĂšcle les pĂ©dants et les cuistres tiennent bon sur toute la ligne. L’enseignement littĂ©raire est tout monarchique. MalgrĂ© 89, malgrĂ© 1830, le peuple n’existe pas encore en rhĂ©torique. Pourtant, ĂŽ ignorance des professeurs officiels ! la littĂ©rature antique proteste contre la littĂ©rature classique et, pour pratiquer le grand art libre, les anciens sont d’accord avec les nouveaux. Un jour BĂ©ranger, ce Français coupĂ© de Gaulois, ne sachant ni le latin ni le grec, le plus littĂ©raire des illettrĂ©s, vit un HomĂšre sur la table de Jouffroy. C’était au plus fort du mouvement de 1830, mouvement compliquĂ© de rĂ©sistance. BĂ©ranger, rencontrant HomĂšre, fut curieux de faire cette connaissance. Un chansonnier, qui voit passer un colosse, n’est pas fĂąchĂ© de lui taper sur l’épaule. –Lisez-moi donc un peu de ça, dit BĂ©ranger Ă  Jouffroy. Jouffroy contait qu’alors il ouvrit l’Iliade au hasard, et se mit Ă  lire Ă  voix haute, traduisant littĂ©ralement du grec en français. BĂ©ranger Ă©coutait. Tout Ă  coup, il interrompit Jouffroy et s’écria –Mais il n’y a pas ça ! – Si fait, rĂ©pondit Jouffroy. Je traduis Ă  la lettre. – Jouffroy Ă©tait prĂ©cisĂ©ment tombĂ© sur ces insultes d’Achille Ă  Agamemnon que nous citions tout Ă  l’heure. Quand le passage fut fini, BĂ©ranger, avec son sourire Ă  deux tranchants dont la moquerie restait indĂ©cise, dit HomĂšre est romantique. BĂ©ranger croyait faire une niche ; une niche Ă  tout le monde, et particuliĂšrement Ă  HomĂšre. Il disait une vĂ©ritĂ©. Romantique, traduisez primitif Ce que BĂ©ranger disait d’HomĂšre, on peut le dire d’ÉzĂ©chiel, on peut le dire de Plaute, onpeut le dire de Tertullien, on peut le dire du Romancero, on peut le dire des Niebelungen. On a vu qu’un professeur de l’école normale le disait de JuvĂ©nal. Ajoutons ceci un gĂ©nie primitif, ce n’est pas nĂ©cessairement un esprit de ce que nous appelons Ă  tort les temps primitifs. C’est un esprit qui, en quelque siĂšcle que ce soit et Ă  quelque civilisation qu’il appartienne, jaillit directement de la nature et de l’humanitĂ©. Quiconque boit Ă  la grande source est primitif ; quiconque vous y fait boire est primitif. Quiconque a l’ñme et la donne est primitif. Beaumarchais est primitif autant qu’Aristophane ; Diderot est primitif autant qu’HĂ©siode. Figaro et le Neveu de Rameau sortent tout de suite et sans transition du vaste fond humain. Il n’y a lĂ  aucun reflet ; ce sont des crĂ©ations immĂ©diates ; c’est de la vie prise dans la vie. Cet aspect de la nature qu’on nomme sociĂ©tĂ© inspire tout aussi bien les crĂ©ations primitives que cet autre aspect de la nature appelĂ© barbarie. Don Quichotte est aussi primitif qu’Ajax. L’un dĂ©fie les dieux, l’autre les moulins ; tous deux sont hommes. Nature, humanitĂ©, voilĂ  les eaux vives. L’époque n’y fait rien. On peut ĂȘtre un esprit primitif Ă  une Ă©poque secondaire comme le seiziĂšme siĂšcle, tĂ©moin Rabelais, et Ă  une Ă©poque tertiaire comme le dix-septiĂšme, tĂ©moin MoliĂšre. Primitif a la mĂȘme portĂ©e qu’original avec une nuance de plus. Le poĂšte primitif, en communication intime avec l’homme et la nature, ne relĂšve de personne. À quoi bon copier des livres, Ă  quoi bon copier des poĂštes, Ă  quoi bon copier des choses faites, quand on est riche de l’énorme richesse du possible, quand tout l’imaginable vous est livrĂ©, quand on a devant soi et Ă  soi tout le sombre chaos des types, et qu’on se sent dans la poitrine la voix qui peut crier “Fiat Lux”. Le poĂšte primitif a des devanciers, mais pas de guides. Ne vous laissez pas prendre aux illusions d’optique, Virgile n’est point le guide de Dante ; c’est Dante qui entraĂźne Virgile ; et oĂč le mĂšne-t-il ? chez Satan. C’est Ă  peine si Virgile tout seul est capable d’aller chez Pluton. Le poĂšte original est distinct du poĂšte primitif, en ce qu’il peut avoir, lui, des guides et des modĂšles. Le poĂšte original imite quelquefois ; le poĂšte primitif jamais. La Fontaine est original, CervantĂšs est primitif. À l’originalitĂ©, de certaines qualitĂ©s de style suffisent ; c’est l’idĂ©e-mĂšre qui fait l’écrivain primitif. Hamilton est original, ApulĂ©e est primitif. Tous les esprits primitifs sont originaux ; les esprits originaux ne sont pas tous primitifs. Selon l’occasion, le mĂȘme poĂšte peut ĂȘtre tantĂŽt original, tantĂŽt primitif. MoliĂšre, primitif dans Le Misanthrope, n’est qu’original dans Amphitryon. L’originalitĂ© a d’ailleurs, elle aussi, tous les droits ; mĂȘme le droit Ă  une certaine politesse, mĂȘme le droit Ă  une certaine faussetĂ©. Marivaux existe. Il ne s’agit que de s’entendre, et nous n’excluons, certes, aucun possible. La draperie est un goĂ»t, le chiffon en est un autre. Ce dernier goĂ»t, le chiffon, peut-il faire partie de l’art ? Non, dans les vaudevilles de Scribe. Oui, dans les figurines de Clodion. OĂč la langue manque, Boileau a raison, tout manque. Or la langue de l’art, que Scribe ignore, Clodion la sait. Le bonnet de Mimi Rosette peut avoir du style. Quand Coustou chiffonne une faille sur la tĂȘte d’un sphinx qui est une marquise, ce taffetas de marbre fait partie de la chimĂšre et vaut la tunique aux mille plis de la CythĂ©rĂ©e AnadyomĂšne. En vĂ©ritĂ©, il n’y a point de rĂšgles. Rien Ă©tant donnĂ©, pĂ©trissez-y l’art, et voici une ode d’Horace ou d’AnacrĂ©on. Une mode de la rue Vivienne, touchĂ©e par Coysevox ou Pradier, devient Ă©ternelle. Une maniĂšre d’écrire qu’on a tout seul, un certain pli magistralement imprimĂ© Ă  tout le style, un air de fĂȘte de la muse, une façon Ă  soi de toucher et de manier une idĂ©e, il n’en faut pas plus pour faire des artistes souverains ; tĂ©moin Horace. Cependant, insistons-y, le poĂšte qui voit dans l’art plus que l’art, le poĂšte qui dans la poĂ©sie voit l’homme, le poĂšte qui civilise Ă  bon escient, le poĂšte, maĂźtre parce qu’il est serviteur, c’est celui-lĂ  que nous saluons. Qu’un Goethe est petit Ă  cĂŽtĂ© d’un Dante ! En toute chose, nous prĂ©fĂ©rons celui qui peut s’écrier j’ai voulu ! Ceci soit dit sans mĂ©connaĂźtre, certes, la toute-puissance virtuelle et intrinsĂšque de la beautĂ©, mĂȘme indiffĂ©rente. Si d’aussi chĂ©tifs dĂ©tails valaient la peine d’ĂȘtre notĂ©s, ce serait peut-ĂȘtre ici le lieu de rappeler, chemin faisant, les aberrations et les puĂ©rilitĂ©s malsaines d’une Ă©cole de critique contemporaine, morte aujourd’hui, et dont il ne reste plus un seul reprĂ©sentant, le propre du faux Ă©tant de ne se point recruter. Ce fut la mode dans cette Ă©cole, qui a fleuri un moment, d’attaquer ce que, dans un argot bizarre, elle nommait la forme’. La forme forma, la beautĂ©. Quel Ă©trange mot d’ordre ! Plus tard, ce fut l’attaque Ă  la grandeur. Faire grand’ devint un dĂ©faut. Quand le beau est un tort, c’est le signe des Ă©poques bourgeoises ; quand le grand est un crime, c’est le signe des rĂšgnes petits. La logomachie Ă©tait curieuse. Cette Ă©cole avait rendu ce dĂ©cret la forme est incompatible avec le fond. Le style exclut la pensĂ©e. L’image tue l’idĂ©e. Le beau est stĂ©rile. L’organe de la conception et de la fĂ©condation lui manque. VĂ©nus ne peut faire d’enfants. Or c’est le contraire qui est vrai. La beautĂ©, Ă©tant l’harmonie, est par cela mĂȘme la fĂ©conditĂ©. La forme et le fond sont aussi indivisibles que la chair et le sang. Le sang, c’est de la chair coulante ; la forme, c’est le fond fluide entrant dans tous les mots et les empourprant. Pas de fond, pas de forme. La forme est la rĂ©sultante. S’il n’y a point de fond, de quoi la forme est-elle la forme ? Nous objectera-t-on que nous avons dit tout Ă  l’heure Rien Ă©tant donnĂ©, etc. ; mais Rien n’avait lĂ  qu’un sens relatif, “nescio quid meditans nugarum” [“Je ne sais quelles bagatelles“, tirĂ© de Satire d’Horace, 65-8 ACN], et une bagatelle d’Horace, c’est quelquefois le fond mĂȘme de la vie humaine. Le beau est l’épanouissement du vrai la splendeur, a dit Platon. Fouillez les Ă©tymologies, arrivez Ă  la racine des vocables, image et idĂ©e sont le mĂȘme mot. Il y a entre ce que vous nommez forme et ce que vous nommez fond identitĂ© absolue, l’une Ă©tant l’extĂ©rieur de l’autre, la forme Ă©tant le fond, rendu visible. Si cette Ă©cole du passĂ© avait raison, si l’image excluait l’idĂ©e, HomĂšre, Eschyle, Dante, Shakespeare, qui ne parlent que par images, seraient vides. La Bible qui, comme Bossuet le constate, est toute figures, serait creuse. Ces chefs-d’Ɠuvre de l’esprit humain seraient de la forme’. De pensĂ©e point. VoilĂ  oĂč mĂšne un faux point de dĂ©part. Cette Ă©cole de critique, un instant en crĂ©dit, a disparu et est maintenant oubliĂ©e. C’est comme cas singulier que nous la mentionnons ici dans notre clinique ; car, comme l’art lui-mĂȘme, la critique a ses maladies, et la philosophie de l’art est tenue de les enregistrer. Cela est mort, peu importe ; de certains spĂ©cimens veulent ĂȘtre conservĂ©s. Ce qui n’est pas nĂ© viable a droit au bocal des fƓtus. Nous y mettons cette critique. REPIN Ilia, Quelle libertĂ© ! 1903 © MusĂ©e russe, Saint-Petersbourg De loi en loi, de dĂ©duction en dĂ©duction, nous arrivons Ă  ceci carte blanche, coudĂ©es franches, cĂąbles coupĂ©s, portes toutes grandes ouvertes, allez. Qu’est-ce que l’ocĂ©an? C’est une permission. Permission redoutable, sans nul doute. Permission de se noyer, mais permission de dĂ©couvrir un monde. Aucun rhumb de vent [En navigation, le rhumb est la quantitĂ© angulaire comprise entre deux des trente-deux aires de vent de la boussole], aucune puissance, aucune souverainetĂ©, aucune latitude, aucune aventure, aucune rĂ©ussite, ne sont refusĂ©s au gĂ©nie. La mer donne permission Ă  la nage, Ă  la rame, Ă  la voile, Ă  la vapeur, Ă  l’aube, Ă  l’hĂ©lice. L’atmosphĂšre donne permission aux ailes et aux aĂ©roscaphes, aux condors et aux hippogriffes. Le gĂ©nie, c’est l’omnifacultĂ©. En poĂ©sie, il procĂšde par une continuitĂ© prodigieuse de l’Iliade, sans qu’on puisse imaginer oĂč s’arrĂȘtera cette sĂ©rie d’HomĂšre dont Rabelais et Shakespeare font partie. En architecture, tantĂŽt il lui plaĂźt de sublimer la cabane, et il fait le temple; tantĂŽt il lui plaĂźt d’humaniser la montagne, et, s’il la veut simple, il fait la pyramide, et, s’il la veut touffue, il fait la cathĂ©drale ; aussi riche avec la ligne droite qu’avec les mille angles brisĂ©s de la forĂȘt, Ă©galement maĂźtre de la symĂ©trie Ă  laquelle il ajoute l’immensitĂ©, et du chaos auquel il impose l’équilibre. Quant au mystĂšre, il en dispose. À un certain moment sacrĂ© de l’annĂ©e, prolongez vers le zĂ©nith la ligne de KhĂ©ops, et vous arriverez, stupĂ©fait, Ă  l’étoile du Dragon ; regardez les flĂšches de Chartres, d’Angers, de Strasbourg, les portails d’Amiens et de Reims, la nef de Cologne, et vous sentirez l’abĂźme. Sa science est prodigieuse. Les initiĂ©s seuls, et les forts,savent quelle algĂšbre il y a sous la musique ; il sait tout, et ce qu’il ne sait pas, il le devine, et ce qu’il ne devine pas, il l’invente, et ce qu’il n’invente pas, il le crĂ©e ; et il invente vrai, et il crĂ©e viable. Il possĂšde Ă  fond la mathĂ©matique de l’art ; il est Ă  l’aise dans des confusions d’astres et de ciels ; le nombre n’a rien Ă  lui enseigner; il en extrait, avec la mĂȘme facilitĂ©, le binĂŽme pour le calcul et le rythme pour l’imagination ; il a, dans sa boĂźte d’outils, employant le fer oĂč les autres n’ont que le plomb, et l’acier oĂč les autres n’ont que le fer, et le diamant oĂč les autres n’ont que l’acier, et l’étoile oĂč les autres n’ont que le diamant, il a la grande correction, la grande rĂ©gularitĂ©, la grande syntaxe, la grande mĂ©thode, et nul comme lui n’a la maniĂšre de s’en servir. Et il complique toute cette sagesse d’on ne sait quelle folie divine, et c’est lĂ  le gĂ©nie. C’est une chose profonde que la critique, et dĂ©fendue aux mĂ©diocres. Le grand critique est un grand philosophe ; les enthousiasmes de l’art Ă©tudiĂ© ne sont donnĂ©s qu’aux intelligences supĂ©rieures ; savoir admirer est une haute puissance. [ 
 ] L’antagonisme supposĂ© du goĂ»t et du gĂ©nie est une des niaiseries de l’école. Pas d’invention plus grotesque que cette prise aux cheveux de la muse par la muse. Uranie et Galliope en viennent aux coiffes. Non, rien de tel dans l’art. Tout y harmonie, mĂȘme la dissonance. Le goĂ»t, comme le gĂ©nie, est essentiellement divin. Le gĂ©nie, c’est la conquĂȘte ; le goĂ»t, c’est le choix. La griffe toute-puissante commence par tout prendre, puis l’Ɠil flamboyant fait le triage. Ce triage dans la proie, c’est le goĂ»t. Chaque gĂ©nie le fait Ă  sa guise. Les Ă©piques mĂȘmes diffĂšrent entre eux d’humeur. Le triage d’HomĂšre n’est pas le triage de Rabelais. Quelquefois, ce que l’un rejette, l’autre le garde. Ils savent tous les deux ce qu’ils font, mais ils ne peuvent jurer de rien ni l’un ni l’autre, l’idĂ©al, qui est l’infini, est au-dessus d’eux, et il pourra fort bien arriver un jour, si l’éclair hĂ©roĂŻque et la foudre cynique se mĂȘlent, qu’un mot de Rabelais devienne un mot d’HomĂšre, et alors ce sera Cambronne qui le prononcera. L’art a, comme la flamme, une puissance de sublimation. Jetez dans l’art, comme dans la flamme, les poisons, les ordures, les rouilles, les oxydes, l’arsenic, le vert-de-gris, faites passer ces incandescences Ă  travers le prisme ou Ă  travers la poĂ©sie, vous aurez des spectres splendides, et le laid deviendra le grand, et le mal deviendra le beau. Chose surprenante et ravissante Ă  affirmer, le mal entrera dans le beau et s’y transfigurera. Car le beau n’est autre chose que la sainte lumiĂšre du bon. Dans le goĂ»t, comme dans le gĂ©nie, il y a de l’infini. Le goĂ»t, ce pourquoi mystĂ©rieux, cette raison de chaque mot employĂ©, cette prĂ©fĂ©rence obscure et souveraine qui, au fond du cerveau, rend des lois propres Ă  chaque esprit, cette seconde conscience donnĂ©e aux seuls poĂštes, et aussi lumineuse que l’autre, cette intuition impĂ©rieuse de la limite invisible, fait partie, comme l’inspiration mĂȘme, de la redoutable puissance inconnue. Tous les souffles viennent de la bouche unique. Le gĂ©nie et le goĂ»t ont une unitĂ© qui est l’absolu, et une rencontre qui est la beautĂ©. UtilitĂ© du Beau ANTO-CARTE, Le Jardinier 1941, photo Jacques Vandenberg © SABAM Belgium 2022 Un homme a, par don de nature ou par dĂ©veloppement d’éducation, le sentiment du Beau. Supposez-le en prĂ©sence d’un chef-d’Ɠuvre, mĂȘme d’un de ces chefs-d’Ɠuvre qui semblent inutiles, c’est-a-dire qui sont créés sans souci direct de l’humain, du juste et de l’honnĂȘte, dĂ©gagĂ©s de toute prĂ©occupation de conscience et faits sans autre but que le Beau ; c’est une statue, c’est un tableau, c’est une symphonie, c’est un Ă©difice, c’est un poĂšme. En apparence, cela ne sert Ă  rien, Ă  quoi bon une VĂ©nus ? Ă  quoi bon une flĂšche d’église ? Ă  quoi bon une ode sur le printemps ou l’aurore, etc., avec ses rimes ? Mettez cet homme devant cette Ɠuvre. Que se passe-t-il en lui ? le Beau est lĂ . L’homme regarde, l’homme Ă©coute ; peu Ă  peu, il fait plus que regarder, il voit ; il fait plus qu’écouter, il entend. Le mystĂšre de l’art commence Ă  opĂ©rer ; toute Ɠuvre d’art est une bouche de chaleur vitale ; l’homme se sent dilatĂ©. La lueur de l’absolu, si prodigieusement lointaine, rayonne Ă  travers cette chose, lueur sacrĂ©e et presque formidable Ă  force d’ĂȘtre pure. L’homme s’absorbe de plus en plus dans cette Ɠuvre ; il la trouve belle ; il la sent s’introduire en lui. Le Beau est vrai de droit. L’homme, soumis Ă  l’action du chef-d’Ɠuvre, palpite, et son cƓur ressemble Ă  l’oiseau qui, sous la fascination, augmente son battement d’ailes. Qui dit belle Ɠuvre dit Ɠuvre profonde ; il a le vertige de cette merveille entr’ouverte. Les doubles-fonds du Beau sont innombrables. Sans que cet homme, soumis Ă  l’épreuve de l’admiration, s’en rende bien clairement compte peut-ĂȘtre, cette religion qui sort de toute perfection, la quantitĂ© de rĂ©vĂ©lation qui est dans le Beau, l’éternel affirmĂ© par l’immortel, la constatation ravissante du triomphe de l’homme dans l’art, le magnifique spectacle, en face de la crĂ©ation divine, d’une crĂ©ation humaine, Ă©mulation inouĂŻe avec la nature, l’audace qu’a cette chose d’ĂȘtre un chef-d’Ɠuvre Ă  cĂŽtĂ© du soleil, l’ineffable fusion de tous les Ă©lĂ©ments de l’art, la ligne, le son, la couleur, l’idĂ©e, en une sorte de rythme sacrĂ©, d’accord avec le mystĂšre musical du ciel, tous ces phĂ©nomĂšnes le pressent obscurĂ©ment et accomplissent, Ă  son insu mĂȘme, on ne sait quelle perturbation en lui. Perturbation fĂ©conde. Une inexprimable pĂ©nĂ©tration du Beau lui entre par tous les pores. Il creuse et sonde de plus en plus l’Ɠuvre Ă©tudiĂ©e ; il se dĂ©clare que c’est une victoire pour une intelligence de comprendre cela, et que tous peut-ĂȘtre n’en sont pas capables ni dignes; il y a de l’exception dans l’admiration, une espĂšce de fiertĂ© amĂ©liorante le gagne ; il se sent Ă©lu, il lui semble que ce poĂšme l’a choisi. Il est possĂ©dĂ© du chef-d’Ɠuvre. Par degrĂ©s, lentement, Ă  mesure qu’il contemple ou Ă  mesure qu’il lit, d’échelon en Ă©chelon, montant toujours, il assiste, stupĂ©fait, Ă  sa croissance intĂ©rieure ; il voit, il comprend, il accepte, il songe, il pense, il s’attendrit, il veut ; les sept marches de l’initiation ; les sept noces de la lyre auguste qui est nous-mĂȘmes. Il ferme les yeux pour mieux voir, il mĂ©dite ce qu’il a contemplĂ©, il s’absorbe dans l’intuition, et tout Ă  coup, net, clair, incontestable, triomphant, sans trouble, sans brume, sans nuage, au fond de son cerveau, chambre noire, l’éblouissant spectre solaire de l’idĂ©al apparaĂźt ; et voilĂ  cet homme qui a un autre cƓur. [ 
 ] [INFOS QUALITE] statut validĂ© mode d’édition partage, correction et iconographie sources Philosophie Magazine n°137 ; contributeur Patrick Thonart crĂ©dits illustrations en-tĂȘte, Victor Hugo par Edmond Bacot 1862 © WIKIMEDIA COMMONS Victor Hugo dans Textes
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CepoĂšme se situe aprĂšs la rupture marquĂ©e par une ligne de points entre le poĂšme II, « le 15 fĂ©vrier 1843 » et le III « trois ans aprĂšs » qui symbolise la mort de LĂ©opoldine. C’est un poĂšme en quatre strophes de six vers composĂ©es en deux alexandrins, un sizain puis deux alexandrins et un sizain. Les rimes suivent le schĂ©ma Maintenant que Paris, ses pavĂ©s et ses marbres, Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ; Maintenant que je suis sous les branches des arbres, Et que je puis songer Ă  la beautĂ© des cieux ; Maintenant que du deuil qui m’a fait l’ñme obscure Je sors, pĂąle et vainqueur, Et que je sens la paix de la grande nature Qui m’entre dans le coeur ; Maintenant que je puis, assis au bord des ondes, Ému par ce superbe et tranquille horizon, Examiner en moi les vĂ©ritĂ©s profondes Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ; Maintenant, ĂŽ mon Dieu ! que j’ai ce calme sombre De pouvoir dĂ©sormais Voir de mes yeux la pierre oĂč je sais que dans l’ombre Elle dort pour jamais ; Maintenant qu’attendri par ces divins spectacles, Plaines, forĂȘts, rochers, vallons, fleuve argentĂ©, Voyant ma petitesse et voyant vos miracles, Je reprends ma raison devant l’immensitĂ© ; Je viens Ă  vous, Seigneur, pĂšre auquel il faut croire ; Je vous porte, apaisĂ©, Les morceaux de ce coeur tout plein de votre gloire Que vous avez brisĂ© ; Je viens Ă  vous, Seigneur ! confessant que vous ĂȘtes Bon, clĂ©ment, indulgent et doux, ĂŽ Dieu vivant ! Je conviens que vous seul savez ce que vous faites, Et que l’homme n’est rien qu’un jonc qui tremble au vent ; Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme Ouvre le firmament ; Et que ce qu’ici-bas nous prenons pour le terme Est le commencement ; Je conviens Ă  genoux que vous seul, pĂšre auguste, PossĂ©dez l’infini, le rĂ©el, l’absolu ; Je conviens qu’il est bon, je conviens qu’il est juste Que mon coeur ait saignĂ©, puisque Dieu l’a voulu ! Je ne rĂ©siste plus Ă  tout ce qui m’arrive Par votre volontĂ©. L’ñme de deuils en deuils, l’homme de rive en rive, Roule Ă  l’éternitĂ©. Nous ne voyons jamais qu’un seul cĂŽtĂ© des choses ; L’autre plonge en la nuit d’un mystĂšre effrayant. L’homme subit le joug sans connaĂźtre les causes. Tout ce qu’il voit est court, inutile et fuyant. Vous faites revenir toujours la solitude Autour de tous ses pas. Vous n’avez pas voulu qu’il eĂ»t la certitude Ni la joie ici-bas ! DĂšs qu’il possĂšde un bien, le sort le lui retire. Rien ne lui fut donnĂ©, dans ses rapides jours, Pour qu’il s’en puisse faire une demeure, et dire C’est ici ma maison, mon champ et mes amours ! Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ; Il vieillit sans soutiens. Puisque ces choses sont, c’est qu’il faut qu’elles soient ; J’en conviens, j’en conviens ! Le monde est sombre, ĂŽ Dieu ! l’immuable harmonie Se compose des pleurs aussi bien que des chants ; L’homme n’est qu’un atome en cette ombre infinie, Nuit oĂč montent les bons, oĂč tombent les mĂ©chants. Je sais que vous avez bien autre chose Ă  faire Que de nous plaindre tous, Et qu’un enfant qui meurt, dĂ©sespoir de sa mĂšre, Ne vous fait rien, Ă  vous ! Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue ; Que l’oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ; Que la crĂ©ation est une grande roue Qui ne peut se mouvoir sans Ă©craser quelqu’un ; Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent, Passent sous le ciel bleu ; Il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent ; Je le sais, ĂŽ mon Dieu ! Dans vos cieux, au delĂ  de la sphĂšre des nues, Au fond de cet azur immobile et dormant, Peut-ĂȘtre faites-vous des choses inconnues OĂč la douleur de l’homme entre comme Ă©lĂ©ment. Peut-ĂȘtre est-il utile Ă  vos desseins sans nombre Que des ĂȘtres charmants S’en aillent, emportĂ©s par le tourbillon sombre Des noirs Ă©vĂ©nements. Nos destins tĂ©nĂ©breux vont sous des lois immenses Que rien ne dĂ©concerte et que rien n’attendrit. Vous ne pouvez avoir de subites clĂ©mences Qui dĂ©rangent le monde, ĂŽ Dieu, tranquille esprit ! Je vous supplie, ĂŽ Dieu ! de regarder mon Ăąme, Et de considĂ©rer Qu’humble comme un enfant et doux comme une femme Je viens vous adorer ! ConsidĂ©rez encor que j’avais, dĂšs l’aurore, TravaillĂ©, combattu, pensĂ©, marchĂ©, luttĂ©, Expliquant la nature Ă  l’homme qui l’ignore, Éclairant toute chose avec votre clartĂ© ; Que j’avais, affrontant la haine et la colĂšre, Fait ma tĂąche ici-bas, Que je ne pouvais pas m’attendre Ă  ce salaire, Que je ne pouvais pas PrĂ©voir que, vous aussi, sur ma tĂȘte qui ploie, Vous appesantiriez votre bras triomphant, Et que, vous qui voyiez comme j’ai peu de joie, Vous me reprendriez si vite mon enfant ! Qu’une Ăąme ainsi frappĂ©e Ă  se plaindre est sujette, Que j’ai pu blasphĂ©mer, Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette Une pierre Ă  la mer ! ConsidĂ©rez qu’on doute, ĂŽ mon Dieu ! quand on souffre, Que l’oeil qui pleure trop finit par s’aveugler. Qu’un ĂȘtre que son deuil plonge au plus noir du gouffre, Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler. Et qu’il ne se peut pas que l’homme, lorsqu’il sombre Dans les afflictions, Ait prĂ©sente Ă  l’esprit la sĂ©rĂ©nitĂ© sombre Des constellations ! Aujourd’hui, moi qui fus faible comme une mĂšre, Je me courbe Ă  vos pieds devant vos cieux ouverts. Je me sens Ă©clairĂ© dans ma douleur amĂšre Par un meilleur regard jetĂ© sur l’univers. Seigneur, je reconnais que l’homme est en dĂ©lire, S’il ose murmurer ; Je cesse d’accuser, je cesse de maudire, Mais laissez-moi pleurer ! HĂ©las ! laissez les pleurs couler de ma paupiĂšre, Puisque vous avez fait les hommes pour cela ! Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre Et dire Ă  mon enfant Sens-tu que je suis lĂ  ? Laissez-moi lui parler, inclinĂ© sur ses restes, Le soir, quand tout se tait, Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux cĂ©lestes, Cet ange m’écoutait ! HĂ©las ! vers le passĂ© tournant un oeil d’envie, Sans que rien ici-bas puisse m’en consoler, Je regarde toujours ce moment de ma vie OĂč je l’ai vue ouvrir son aile et s’envoler ! Je verrai cet instant jusqu’à ce que je meure, L’instant, pleurs superflus ! OĂč je criai L’enfant que j’avais tout Ă  l’heure, Quoi donc ! je ne l’ai plus ! Ne vous irritez pas que je sois de la sorte, O mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saignĂ© ! L’angoisse dans mon Ăąme est toujours la plus forte, Et mon coeur est soumis, mais n’est pas rĂ©signĂ©. Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil rĂ©clame, Mortels sujets aux pleurs, Il nous est malaisĂ© de retirer notre Ăąme De ces grandes douleurs. Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nĂ©cessaires, Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin, Au milieu des ennuis, des peines, des misĂšres, Et de l’ombre que fait sur nous notre destin, ApparaĂźtre un enfant, tĂȘte chĂšre et sacrĂ©e, Petit ĂȘtre joyeux, Si beau, qu’on a cru voir s’ouvrir Ă  son entrĂ©e Une porte des cieux ; Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-mĂȘme CroĂźtre la grĂące aimable et la douce raison, Lorsqu’on a reconnu que cet enfant qu’on aime Fait le jour dans notre Ăąme et dans notre maison, Que c’est la seule joie ici-bas qui persiste De tout ce qu’on rĂȘva, ConsidĂ©rez que c’est une chose bien triste De le voir qui s’en va ! Villequier, 4 septembre 1847.
PoĂšmeCe que c’est que la mort. Ne dites pas : mourir ; dites : naĂźtre. Croyez. On voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l’homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ; Quoique le plus petit vaille le plus prospĂšre ;
Tu n’es plus lĂ  oĂč tu Ă©tais, mais tu es partout lĂ  oĂč je suis. » Les recherches qui ont menĂ© Ă  cet article tu nes plus lĂ  oĂč tu Ă©tais mais tu es partout lĂ  oĂč je suis, tu n\es plus lĂ  oĂč tu Ă©tais mais tu es partout lĂ  oĂč je suis, tu nes plus la ou tu etais, citation pour dĂ©cĂšs, yhs-ddc_bd, citations de deuil, tu n es plus la ou tu etais victor hugo, Tu nes plus lĂ  oĂč tu Ă©tais mais tu es partout ou je suis, tu n\es plus la ou tu etais, tu nes plus la ou tu Ă©tais victor hugo, paroles de victor hugo sur le deuil, tu n es plus la ou tu Ă©tais poĂšme, tu nes la pas ou tu es, victor hugo tu es partout ou je suis ». ryjGuf. 368 132 290 187 283 206 339 372 222

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